Temps de lecture estimé à : 15 minutesWhy Womens Kill : une œuvre féministe ?

Temps de lecture estimé à : 15 minutes

Why Womens Kill, c’est le retour de l’une des passions de Marc Cherry. A sa voir : la ménagère quarantenaire, perdue dans son quartier résidentiel bourgeois, dont le principal hobby est de parler tupperwares entre copines. Après Desperate Housewives, Marc Cherry renoue avec ses propres clichés pour servir une première saison de Why Womens Kill grinçante et créative. Pour les personnes ayant apprécié le personnage de Brie ou de Gabriel, vous serez heureux·se de les recroiser sous les traits de Beth Ann et Simone. Bref, petite autopsie pince-sans-rire d’une série aux allures féministes.

Taylor, Beth Anne, et Simone dans Why Womens Kill

Difficile de ne pas reconnaître aux premiers coups d’oeil les clichés qu’affectionne Marc Cherry. À l’instar de Desperate Housewives, on retrouve le petit quartier de bourgeoisie américaine typique, la différence ? L’intrigue va se suivre dans une maison, qui verra trois générations de femmes l’habiter. Le bonus ? Elles seront toutes plus ou moins liées à des meurtres ; le tableau est posé dès le titre de la série. Dans Why Womens Kill, On retrouve comme à l’accoutumée les thèmes chers de Marc Cherry. Mais aussi son humour pince-sans-rire où les ménagères désespérées se servent du Whiskey avant d’apporter les muffins aux enfants. Le regard qu’il porte est multigénérationnel. Il ressemble davantage à une histoire de la femme sur ces cinquante dernières qu’à un plaidoyer féministe. N’ayez point peur, ici, les héroïnes ne connaissent pas de libération en exhibant leurs poitrines nues avec un #menaretrash écrites dessus. Mais elles vont donner du fil à recoudre au patriarcat à leur façon.

Why Women Kill : destins croisés

Les trois destins croisés au sein de la maison dressent trois portraits différents, bien implantés dans leurs contextes historiques. Le personnage de Beth Anne, la femme de la première génération vivant durant les années 1960 ressemble à une Bree plus naïve. On y retrouve la même rousseur, le même attrait obsessionnel pour le nettoyage, et une insatisfaction sexuels qui en font des contrôles freaks. Toutefois, on oublie les enfants. On se centre sur le destin d’une femme aux allures parfaites, qui a rencontré le deuil. Beth Anne est seule à la maison. Sans petite fille pour s’occuper, et l’époux passe un peu trop de temps au travail. Comme Bree, elle finit par découvrir qu’il la trompe avec une serveuse. Mais Beth va devenir amie avec elle afin de comprendre ce que son mari lui trouve. À chaque époque sa problématique.

Beth Anne, plongée au coeur des années 1960

Dans le cas de Beth Anne, on y trouve les failles des couples de sa génération. Il n’y a qu’à voir dans le premier épisode comment elle se montre docile auprès de son époux ; il y a une scène qui m’a assez marqué, personnellement. C’est lorsque tous les deux rencontrent leurs voisins, et que l’époux de Beth Anne lui montre son verre vide pour qu’elle le resserve. C’est à ce moment-là que sa voisine parle de féminisme. Marc Cherry aimant les petits détails, celui que j’ai apprécié se tient dans le choix de la tenue des personnages. Beth Anne est en robe, la voisine est en pantalon, et cette dernière semble « moins éduquée » que Beth. En une scène, il place un sous-texte intéressant. Au-delà de la différence de classe sociale des deux personnages, il dénonce comment l’éducation de Beth Anne la distancie des autres.

Rapidement, on se rend compte que Beth Anne se dévoue à son époux, faute d’avoir un enfant dont s’occuper. Je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais Beth Anne va vite comprendre que son époux est loin d’être tout blanc ; elle est la démonstration de la charge mentale au quotidien. Par exemple, elle lui fait croire qu’elle va mourir, son mari pleure, puis il aborde quelques jours plus tard le mariage avec sa maîtresse. On comprend vite qu’il cherche davantage une femme de ménage qu’une épouse. Cela est assez évocateur de comment on considérait l’épouse à l’époque ; ce qui m’a d’ailleurs rappelé le comics Lady Killer.

Why Womens Kill et Desperate Housewives

L’héroïne est la parfaite mère au foyer des années 1960, mais sur son temps libre, elle est une tueuse professionnelle. On y retrouve le même côté grinçant, la même mise à distance entre les faits et les émotions. Contrairement à Bree, Beth n’est pas que « tout pour les apparences », mais elle souffre d’un manque à ce niveau-là. Le manque de communication au sein du couple par exemple, ou le fait qu’ils ne vont jamais aborder le décès de leur fille l’un face à l’autre. Tout ceci témoigne des dégâts que la masculinité toxique peut aussi faire.

Simone et la question du SIDA

La seconde génération aborde les questions queers, mais obéit aux clichés auxquels Murphy nous a habitués. On y retrouve en Simone une autre Gabrielle, dont la classe sociale de départ n’est pas différente. Simone est fille de blanchisseuse si je me souviens bien. Le même attrait pour le luxe et surtout, l’intrigue avec un jeune voisin beaucoup trop jeune pour elles. La différence d’âge dans les relations amoureuses est abordée de la même manière. Sans la remise en cause de la toxicité que cela pourrait avoir.

Simone en compagnie de son amant, en tenue de flamenco dans Why Womens Kill

Si c’est le voisin de Simone qui lui court après, et qu’elle ne se donne pas à lui tout de suite, je pense qu’un peu de regards critiques auraient pu être mis en avant. Si Simone attend qu’il ait dix-huit ans — de mémoire — pour avoir une relation sexuelle avec lui, cela n’en reste pas moins un adolescent. Certains détails le rappellent, tels que la montre qu’il lui offre. Il ira se faire tatouer le visage de Simone sur sa cuisse. La différence d’âge a un impact sur leurs relations, et Simone l’encouragera à passer à autre chose ; si la relation est touchante, eh bien, il n’en reste pas moins qu’on dirait une version année 1980 de Gabrielle. Oh ! J’ai adoré Simone pour son côté sassy bitch, sa force de caractère, le rapport à son âge est aussi intéressant. Mais voilà, on reprend les mêmes et on recommence.

Simone et Karl, des icônes

Toutefois, le personnage de Simone fonctionne, et  surtout grâce à son époux, Karl. Pour ma part, la première fois que je l’ai vu, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à une Nounou d’Enfer et Maxwell ; probablement parce que l’intrigue des deux séries est proche, et qu’ils ont tous les deux un côté british. Dans tous les cas, à l’instar de Beth Ann, Simone découvrira que Karl la trompe, avec… un homme. Malgré tout, ce que j’ai apprécié avec ce couple, c’est leur complicité. Elle va au-delà de la question de l’homosexualité et du SIDA impactant leurs vies. Il y a un passage assez touchant, où Simone avoue se sentir trahie par cette découverte – sans juger Karl pour son homosexualité —, et c’est là que Karl lui dit qu’elle est sa meilleure amie.

On peut clairement parler d’amour entre les deux, mais pas d’un point de vue sexuel ; après tout, ils ont construit ensemble leurs vies. Simone a connu plusieurs maris, dont est issue sa fille, et Karl vient fermer la boucle en quelque sorte. Les acteurs ont l’air assez complices pour que leur duo fonctionne à l’écran.

Un duo de choc comme outil de dénonciation

N’oublions pas que l’intrigue se situant dans les années 1980, l’homosexualité était encore mal considérée. Après tout, l’on croyait que le SIDA était une « maladie queer » provoquée par Dieu pour nous punir. Karl est donc marié à Simone pour se protéger en tant qu’homme homosexuel, en dépit de sa bonne classe sociale. En effet, nous sommes dans les quartiers résidentiels de la bourgeoisie américaine, et il n’est pas bon de sortir des normes.

C’est ce que la série fait comprendre. Quand la santé de Karl se retrouve impactée par le SIDA, on voit les commérages, les remarques qui ne veulent pas en être. Les amies de Simone lui tournent le dos, et semblent apprécier la voir vendre ses oeuvres d’art pour payer les frais d’hôpital. La fin de Karl est assez touchante. Une très belle scène venant conclure leurs histoires, quoique cela aborde la question du suicide insisté. C’est quelque chose qui me fait toujours grincer des dents. Cette espèce de romantisation de l’euthanasie, quoique ce soit la volonté de Karl.

Taylor, une héroïne très en retrait

Le dernier couple est quelque peu « original ». Il parle plus explicitement de féminisme avec Taylor et Eli. La première est avocate, le second est scénariste ; Taylor est bisexuelle, et Eli hétérosexuel. C’est pour cela que tous les deux sont dans une relation libre, et peuvent voir ailleurs s’iels le souhaitent. En soi, cela démarre bien, c’est rare lorsque ce genre de relation est mise en scène dans les séries. Ce qui est démontré ici, c’est l’importance de la communication.

Mais voilà ! Les choses changent, et l’apparition de Jade dans leurs vies va venir bouleverser tout ceci. Je pense que c’est ce qui a été le plus mal exploité dans la série. Dans le sens, où Taylor est assez peu mise en avant, alors qu’on avait en contraste à Beth Ann et Simone, une femme forte de pouvoir. Dans l’introduction de la série, je me souviens de ce passage où Eli avoue s’être mis au féminisme pour draguer Taylor. Et sans même en comprendre les tenants et aboutissements.

De quoi rire jaune, n’est-ce pas ?

Why Womens Kill et la charge mentale

Pour moi, cela est un exemple de réalisme ; combien d’hommes cis-hétéros se disent féminisme sans comprendre ? Les premiers à dire #menaretrash, mais à chouiner un  #notallmen lorsqu’on met en avant leurs aspects problématiques. Pour moi, ce sont de vrais problèmes, parce qu’ils ne font que déporter le souci ailleurs. J’ai eu affaire à un énergumène qui prétendait que je faisais de la discrimination, quand je lui ai reproché son mansplanning… le comble ? Me dire que lui ne voyait ni « le genre », ni la couleur de peau —, et font surtout cela pour glaner quelques cookies. Comportement réaliste, donc, et Eli est le point de départ de l’intrigue. Il tombe sous le charme de Jade, et propose à Taylor de former un trouple.

Taylor est symptomatique de ce que subit une femme, même féministe. Dans le sens où Eli est un ancien toxicomane qu’elle a sauvé. Elle s’en occupe comme d’un enfant. Même si leur couple fonctionne et est fort, Taylor subit une importante charge mentale. Eli semble souffrir d’une forme de dépression. Il a le syndrome de la page blanche. Il n’arrive pas à se reprendre en main ou à demander de l’aide auprès d’un spécialiste. C’est Taylor qui paye les facteurs et travaille ; en quelque sorte, la tendance est inversée entre elle et Beth Ann. Cette dernière restait à la maison, pendant que son époux travaille. Ici, c’est Taylor ramène les sous alors qu’Eli reste à la maison. De plus, leur couple ne roule pas tout à fait sur l’or.

Jade, un personnage mal amené ?

Jade vient un peu les « sauver ». Elle prend en charge les tâches ménagères dont Eli ne s’occupe pas. Ici, je pense qu’on peut dire qu’on a affaire à un male gaz : Eli est un homme hétérosexuel, en couple avec deux femmes bisexuelles. Jade s’occupe de faire à manger, et Taylor ramène l’argent. On y retrouve le fantasme des hommes hétérosexuels d’être le centre d’attention de deux femmes. Murphy se moque d’ailleurs de ce cliché. La première fois qu’ils aient une relation à trois, Jade et Taylor demandent d’avoir un peu de temps pour elles. Eli persuadé d’avoir été le meilleur coût de leurs vies descend préparer une glace. Et il attend. En remontant, il se rend compte que toutes les deux sont en train de se faire un câlin. C’est une scène assez tendre où Eli se rend compte que Taylor développe des sentiments amoureux pour Jade. Ah. Dommage !

Dommage, car cela aurait pu être tellement mieux écrit.

Why Womens Kill : ce qui ne marche pas

Cette troisième intrigue démarrait bien, avec une femme racisée, féministe et forte. Malheureusement, Ryan Murphy loupe le coche. Taylor n’est pas assez mise en avant, et l’essentiel de l’intrigue tient sur Jade et Eli. On découvre au fur et à mesure que Jade n’est clairement pas quelqu’un de bien. C’est justifié par une enfance malheureuse et un petit ami violent. Si les trois avaient pu vivre une relation en polyamour saine, ce n’est pas le cas ; Eli et Jade manigancent dans leur coin, alors que Taylor développe de la jalousie envers Jade. Et enfin, la scène finale se termine par le meurtre de Taylor sur Jade, tandis que celle-ci tente elle-même de les assassiner. Que Jade soit dangereuse, pourquoi pas, mais cela me fait grincer des dents.

Beth Anne tenant les mains de son amie dans Why Womens Kill

Parce qu’à la fin, Taylor dit clairement à Eli que les relations libres et le polyamour, c’est « fini ». Nous aurions pu avoir une relation en polyamour ! Sans que Taylor retourne vers le chemin de l’hétéronormativité en relationnant avec Eli. Les représentations queers sont de plus en plus souvent mises en avant dans les séries. Ryan Murphy avait déjà abordé ces questions-là dans Desperate Housewives, et il dénonçait les thérapies de conversion aux USA. Néanmoins, c’est regrettable de voir qu’au final, un personnage comme Taylor rentre dans les cases. Pourtant l’idée derrière ce personnage était la prise de pouvoir et le féminisme. Je ne dis pas que j’aurais préféré voir Eli disparaître plutôt que Jade, mais j’aurais souhaité quelque chose de nettement plus queer pour cette intrigue.

On reprend les mêmes (plots) et on recommence

De même que Beth Ann, avec le recul, est un personnage me mettant mal à l’aise. Elle est intelligente, jolie et souriante, mais comme Bree, elle est psychorigide. Elle n’arrive pas à passer outre le deuil de sa petite fille — et c’est aussi important de l’aborder.

Mais quand elle s’aperçoit que sa voisine se fait battre par son mari, elle façonne tout un plan pour se venger du sien et instrumentalise son meurtre. Elle déplace son rêve d’élever une enfant sur la maîtresse de son époux, avec laquelle est devenue amie, et qu’elle pousse à poursuivre son rêve de chanteuse. C’est au fond, un personnage assez gris, qui est loin d’être une oie blanche. Sa sexualité est très peu abordée d’ailleurs, si ce n’est de façon parodique lorsqu’elle tente de rallumer la flamme de son couple. Au moins, la question de la sororité est abordée avec Beth et les différents personnages féminins l’entourant.

Mais une part de moi aurait préféré qu’elle parvienne à communiquer avec Robert, et le mette devant le pied du mur sur ce qu’il s’est réellement passé pour le décès de leur fille. Robert n’est pas « méchant ». Il est le symptôme d’une société patriarcale où les hommes sont mis sur un piédestal. Mais ne doivent pas non plus montrer de faiblesse.

La question de l’adultère est l’un des points centraux de la série, affectionnée par Ryan Murphy avec ce Desperate Housewives nouvelle génération. La différence, c’est que Taylor et Eli ne sont pas infidèles l’un avec l’autre, puisque leur relation libre est discutée. Dommage que Taylor rentre dans les cases. Quant à Simone et Karl, tous les deux finissent par se tromper, et se l’avouer, en acceptant de continuer de vivre ensembl. Parce que malgré tout, ils s’aiment — juste différemment -, et que leur mariage leur permette de maîtriser chacun leur homosexualité. Tous les deux ressemblent davantage à deux meilleurs amis vivant ensemble qu’à un réel couple. Et je trouve que c’était un vent d’air frais.

Why Womens Kill en conclusion

Why Womens Kill est — je pense — une bonne série pour le public auquel elle s’adresse. C’est-à-dire le même que Desperate Housewives qui sera ravie de retrouver les mêmes mécanismes d’écriture. Si Beth Ann et Simone ne sont rien d’autre qu’une autre Bree et Gabrielle, leur développement n’en reste pas moins intéressant. C’est bien dommage que Taylor n’a pas eu droit à ce même traitement, et se retrouve dans l’ombre de Jade et d’Eli.

Les sujets abordés sont encore les mêmes, quoique le polyamour s’exploite mal. Dans tous les cas, en tant que série, on y passe un bon moment. Je ne dirais pas que c’est une série profondément féministe par exemple, mais elle a le mérite de dénoncer l’image de la femme des années 1960, et de mettre en avant des héroïnes fortes, qui parviennent peu à peu à s’émanciper au cours de l’histoire. Malgré tout, le final est assez intense, et créatif. A voir si la saison 2 tire autant son épingle du jeu.

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