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Coming- Out : Je suis une créature quantique.

Et peut-être que vous aussi

« Je ne suis pas un homme monsieur ». Nous sommes en 2018, c’est la première fois que le grand public français entend parler de non-binarité avec ce Coming-Out. La toile s’est alors jetée comme un vautour sur cette séquence issue d’Arrêt sur Image. Nous avons eu droit à tout un as de memes embyphobes et transphobes. Le plus connu étant t « je suis un hélicoptère de combat, modèle Xtruc-bidule ».

À l’époque, j’ai 26 ans, et comme le grand public, je n’ai jamais entendu parler de non-binarité. Certes, les moqueries  me font tiquer en premier lieu, je ne mets pas vraiment le doigt dessus. Je m’interroge alors : qu’est-ce que c’est, la non-binarité ?

Lorsque je ne connais pas quelque chose, je me renseigne. Internet offre le pire comme le meilleur. Nous avions d’un côté des vagues de violences, et de l’autre des témoignages de personnes directement concernées par la question.

À ce moment, c’est encore flou pour moi, et l’on trouve surtout des ressources en anglais. La France est à l’image de ses services de transports : elle a toujours un train de retard. Je finis par laisser tomber, je pense avoir compris dans les grandes lignes, et je m’intéresse à autre chose.

Enfin... pas tout à fait.

Ces memes que je vois encore tourner sur les réseaux sociaux, le rejet qui en découle, tout ça me reste en tête. Pendant plusieurs mois… non, une année entière. J’ai eu besoin de beaucoup de temps pour comprendre que je n’avais pas vraiment saisi tout ce que c’était être non-binaire. Avec le temps, les ressources augmentent, et je commence à suivre sur Twitter des militant·es queers amenant le sujet.

Je me rapproche peu à peu de la vérité, je découvre qu’au même titre que l’homosexualité et la transidentité, la non-binarité existait bien avant notre époque contemporaine. On en trouve des traces dans le Moyen-Orient, ou encore dans les cultures des Premières Nations américaines. Seulement les existences non-binaire ont été effacées à cause du christianisme, comme souvent.

Plus je lis de témoignages, plus mon sentiment d’abattement croît. C’est avoir une boule dans la gorge, un malaise constant que je ne parviens pas à définir. En vérité, je sais déjà très bien ce qu’il en est à ce moment-là, mais je n’ose pas encore me l’avouer. Une part de moi admire ces personnes, capables d’expliquer ce qu’est la non-binarité. J’envie aussi leur fierté dans leurs façons d’exprimer leur genre,ou absence de genre. Je les enviais même un peu de s’être trouvées.

J'ai intériorisé la transphobie, et ça a retardé mon Coming-Out

Il y avait cette fois-ci à mon travail en librairie. Mon directeur de magasin a abordé une personne et l’a mégenré (mégenrer, c’est lorsqu’on appelle quelqu’un monsieur alors qu’il s’agit d’une femme, par exemple), notamment parce qu’il était difficile de définir ce qu’était la personne en question.

Et plutôt que d’être compréhensif, il est allé se moquer de cette personne auprès de mon adjoint en l’imitant grossièrement. Nous étions en 2019, j’ai assisté à la scène. Pour beaucoup de personnes, cela peut paraître « rien », mais pour moi, c’était violent. J’ai vu que le monde n’évoluait pas vite, et que si un jour je faisais un coming-out sans être dans un cercle sécuritaire, je devrais faire face à ça, moi aussi.

Un meme d'une personne disant qu'enfant, iel avait peur du monstre dans le placard, et l'image d'après, iel se rend compte qu'il n'y avait qu'iel dans le placard en question, jeu de mots avec Coming-Out
"Moi enfant ayant peur du monstre dans mon placard", et "Moi des années plus tard me rendant compte que la chose qui y était, c'était moi"

Cela sonnait faux

À cet instant, j’ai compris que je « clochais ». Je me sentais blessé par leur comportement. Non pas parce que je suis empathique, mais bien parce que j’étais directement concerné par ce qu’il se passait.

Ça a été le déclic : peut-être que je me retrouvais en cette personne-ci. Et à partir de là, je me suis rappelé de tout un tas de détails m’ayant mis mal à l’aise – ou au contraire – plus jeune. Quand on me qualifiait de « garçon manqué » enfant, je ne voyais pas en quoi c’était un défaut. Ma proportion à naturellement incarner des personnages masculins en jeu de rôle ou au théâtre. Ou à choisir un avatar masculin dans un jeu vidéo. Toutes ces fois où on a voulu m’insulter en me traitant de garçon et où ça m’allait. Mon attrait pour les drag-queen et les transformistes en général.

Et enfin, un dernier détail et pas des moindres : utiliser d’office le masculin sur internet, puis me sentir mal à chaque fois que je devais avouer « la vérité » alors qu’on me demandait si j’étais un homme ou une femme.

Le déni de mon Coming-Out

Bien, je m’approche des réponses, et quoi maintenant ?

Rien.

C’est au bout de plus d’un an avant de me décider d’oraliser sur ce processus interne. Okay, le genre et tout ce qui s’englobe autour étaient liés intrinsèquement à mon intimité profonde, quelle utilité d’en parler ? Si je suis non-binaire, est-ce que cela vaut la peine de faire un coming-out ? Et est-ce que je suis légitime ? Après tout, j’aime me maquiller et porter des talons. Durant cette époque, cela fait huit ans que je suis en couple avec un homme. Et s’il me quittait parce que ce que je suis ne lui correspond plus ?

Bref, je ne me sentais pas légitime de l’aborder. Mon expression de genre (la façon dont on va s’habiller, se comporter, etc) a toujours été fluide ; je pouvais être maquillé très « girly », tout en portant de larges t-shirt confortables avec des rangers.

Pour moi, si j’appréciais des choses liées à la féminité, ça ne me rendait pas « valide » en tant que personne non-binaire. Et Twitter est de nouveau rentré en jeu ; je suis tombé un beau matin sur un thread d’une personne non-binaire, maquillé·e à la perfection, et qui expliquait la différence entre l’identité de genre et l’expression de genre.

C’est alors que j’ai compris pour de bon : j’avais le droit d’aimer les choses que l’on dit « féminine », de même que j’ai le droit de porter des rangers si ça me plaisait. J’étais légitime. Pourtant, je n’osais pas en parler à mon compagnon.

Un homme hésitant sur deux boutons, l'un disant "je ne suis pas trans'", l'autre "accepter d'être trans' et aller mieux", la dernière case est une image issu du jeu Fallout avec écrit "hold up" ; c'est une blague sur le Coming-Out
"Je ne suis pas trans" vs "il est temps de faire un CO pour aller mieux mentalement"

Mais ça a fini par sortir

Et… un jour c’est sorti de ma bouche sans que je le contrôle. Je crois que je m’en rappellerais jusqu’à la fin de ma vie. Septembre, il fait nuit déjà, et l’on se rend tous les deux à notre restaurant préféré. Je lui balance alors : je crois que je suis non-binaire.

Le choc : mon compagnon ne m’a pas compris, en fait, aucun de nous deux n’a compris ce qu’il s’est passé. Il m’a dit que je me faisais influencer par internet, et ça m’a refroidi aussitôt. 

Heureusement grâce au pouvoir de la pizza et d’un Irish Coffee, on a pu en discuter un peu plus sereinement de la question. Lui, il comprenait pourquoi je ne voulais pas être défini en tant que « femme » : les injonctions, les violences, le patriarcat, etc, mais il n’avait pas raison. Ce n’était pas qu’un acte politique, c’était mon ressenti.

De plus, il était frustré de ne pas trouver de solution pour m’aider : changer mes pronoms ? Utiliser « iel » ? Qu’est-ce qu’il pouvait faire en tant qu’allié ? Je lui ai alors donné le lien du Wiki trans’ – pour l’anecdote, en tant que programmeur, son premier réflexe a été de vérifier le code du site. Notamment leur article sur ce qu’était la non-binarité. Si cela ne lui a pas donné la solution miracle, il a pu néanmoins comprendre ce qu’il devait faire pour m’aider : m’écouter, s’éduquer, et rester bienveillant.

Meme d'une femme buvant un café, où il est écrit "es-tu une bonne actrice ?", ce à quoi elle répond "j'ai fait semblant d'être hétéro pendant 18 ans" pour plaisanter sur son Coming-Out

C'était là depuis le début

Nous en avons beaucoup parlé, de nos rapports aux genres et des vécus pluriels des personnes queers. Puis, je lui ai demandé si ce coming-out le pousserait à me quitter. C’est là qu’il m’a rappelé que lorsqu’on avait commencé à sortir ensemble, en 2012, je lui avais demandé s’il m’aimerait toujours si j’étais en vérité un garçon.

Ah.

J’avais fait ça.

Cela prouvait que mon interrogation sur mon genre n’était pas nouvelle, ça a toujours été là, au fond de moi sans que je ne le vois. Il m’a aussi dit que quand son meilleur ami nous avait présenté, la première chose qu’il lui avait annoncée à propos de moi, c’était que j’étais un mec.

Ah.

(Deuxième fois)

Mon Coming-Out m'a permis de mieux me comprendre

C’est depuis ça que j’ai pu voir ce que je ne voyais pas auparavant. Dans mon cas, être étiqueté « femme », c’est comme être forcé de porter un vêtement qui ne me va pas. Il est mal taillé, trop petit, me boudine, les coutures me grattent. Mais j’ai été habitué à cet inconfort depuis tout petit.

Puis, un jour, on décide de juste s’en débarrasser. Et sous ce vêtement, on se rend compte des autres couches de vêtements, et on les enlève au fur et à mesure que l’on comprend ce que l’on  est. Une par une, peu à peu, c’est un processus long, mais libérateur.

À partir de là, des souvenirs de mon enfance me sont remontés. Les réflexions surtout que je recevais pour ne pas correspondre au modèle de la petite fille en robe blanche, qui joue à la Barbie.

Alors… je jouais aux Barbies, mais mes Barbies à moi ne préparaient pas le dîner ou s’occupaient des enfants : elles allaient plutôt combattre des dragons… 

On ne peut pas grandir sainement dans un milieu transphobe et homophobe

Pour en revenir au sujet principal :  j’ai vécu dans un environnement homophobe et transphobe. Mes parents ne l’ont jamais été, mais la famille de ma mère oui. Lorsqu’ils sont décédés et que j’ai vécu pendant dix ans auprès de ma grand-mère maternelle, j’avais droit à plein de réflexions, simplement parce que je ne correspondais pas au cliché de la petite fille « girly ». Ma cousine par exemple, se moquait de moi quand j’avais douze ans, parce que j’adorais les jeux vidéos et que j’aimais Mylène Farmer. Pour elle, ça signifiait que j’étais… une lesbienne.

Oh.

(On varie)

J’ai pris conscience de tout ce que j’avais intériorisé au fil des années. Mon compagnon se moque souvent de moi, en me disant que pour une personne non-binaire, j’ai un mode de pensée très… binaire. Ironique, n’est-ce pas ? Grosso modo : je peux nuancer très fort pour les autres, mais quand il s’agit de moi, je suis beaucoup trop rigide et dur.

L'Après Coming-Out : je découvre enfin qui je suis

Dès lors, j’ai commencé à faire des petits coming-out par-ci et par-là, auprès de personnes que je savais ouvertes. J’ai aussi pris le temps d’expliquer ce que c’était aux gens qui ne comprenaient pas. En plus de commencer un long travail d’éducation et de militantisme en parlant de non-binarité. Puis, j’ai voulu officialiser mon coming-out auprès de mon entourage.

Je voulais prendre des photos en représentant ce que j’étais, et j’ai investi dans un vrai appareil photo. J’ai alors posté une série de clichés sur Facebook, où je porte une couronne de fleurs en papier et un maquillage rappelant les couleurs du drapeau non-binaire. La date n’a pas été choisie par hasard : le 17 Mai – la journée des luttes contre l’homophobie et la transphobie.

Explorer mon genre, dans toute sa complexité m’a permis de comprendre aussi que je n’étais pas hétérosexuel. Je me suis souvenu d’une fille pour laquelle j’ai eu le béguin, et ce « ah si j’étais un mec, j’en tomberais amoureux » qui m’était venu.

Je pourrais passer des heures à expliquer tout ce que ça a impliqué dans ma vie, et comment ce coming-out fait sur un coup de tête à mon compagnon m’a été bénéfique. Il a été le premier à me dire que depuis, je semblais plus heureux et épanoui, et que j’étais plus beau qu’avant.

Mon nom est Indiana, je ne suis pas un hélicoptère de combat.

Je suis une créature quantique.

Je suis non-binaire.

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