Temps de lecture estimé à : 13 minutesTransphobie décomplexée : débunkage d’un discours d’extrême droite
La transphobie fait de ce mois de juin quelque chose d’étrange. Celui-ci, n’est pourtant pas un mois comme les autres.
Bon. Je ne mentionnerais pas le « débat » (si l’on peut qualifier cela ainsi) ayant fait suite. Cependant, j’ai décidé de faire un article pour dénoncer ce discours. Il devient trop récurrent, que ce soit dans les médias, ou des personnes cisgenres. Bref, cet article est du debunkage autour des arguments plein de transphobie qu’on nous sert. Et je pense qu’il peut être d’utilité public.
La transphobie présente dans la forme
Je vais d’abord parler de la forme.
Le conditionnel, c’est un joli habillage. Cela ne sonne pas comme de la transphobie. C’est une « supposition ». Poser la question n’est pas affirmé une vérité, mais démontre un « désacord ».
« Une crise existentielle telle l’adolescence avec ces changements qui peuvent nous faire sentir inconfortable avec notre corps » est une formule pour renvoyer au caractère universel de l’adolescence. Après tout, ne traversons pas nous tous la même chose ? L’adolescence est vectrice de changement, physique et émotionnel. Après tous, les ados traversent eux aussi une crise existentielle…
Oui, mais non.
Cela serait un argument, seulement si et seulement si, les personnes transgenres avaient les mêmes adolescences que les personnes cisgenres. Non, notre adolescence ne ressemble pas à celle d’un ado cis. C’est romantiser un vécu que nous n’avons pas en commun. Non, je n’ai pas connu de « crise existentielle » durant l’adolescence. Je n’ai pas non plus fait « de crise d’ado », il y a rien eu de tout ça.
La détransition, un mythe construit par la transphobie
Ensuite, il vient l’argument des détransitions qu’il accorde aux USA. Il faut savoir qu’actuellement, les rhétoriques TERFs font énormément de mal aux droits des personnes trans ». Par exemple, l’Arkansas a interdit aux mineurs d’effectuer une transition médicale. Ici, l’argument tient des articles fallacieux qui veulent faire croire que les personnes trans’ ont des soucis identitaires. J’imagine qu’il tient cet argument du thread nauséabond du Figaro. Toutefois, à part cela, il n’y a pas d’argument. Le reste est une vague supposition.
La forme se veut « intellectuel », avec une traduction des termes anglophobes. Je ris jaune avec la mention de « body dysmorphia », soit il ne sait pas écrire dysmorphophobie, soit il ne sait pas trop ce que c’est. Ou bien, il mélange avec la dysphorie.
Un discours qui souligne la transphobie
« Attention, ne déformez pas mes propos en disant que j’ai dit qu’une orientation sexuelle différente de l’hétérosexualité est une maladie mentale, je dis juste que la plupart des transsexuels (je parle en connaissance de cause) ont des problèmes intérieurs. »
Cette phrase prouve que la personne sait très bien que son discours est transphobe. Avant même que je ne puisse réponde, il met un véto sur ce que je « pourrais interpréter ». Or, il fait une erreur de formulation qui le trahit en parlant : « ne déformez pas mes propos en disant que j’ai dit qu’une orientation sexuelle différente de l’hétérosexualité est une maladie mentale ». Ah ? Mais il ne s’agit pas d’une orientation sexuelle, mais d’une identité de genre. Il poursuit : « je dis juste que la plupart des transsexuels (je parle en connaissance de cause) ont des problèmes intérieurs ».
Je vais revenir plus longuement sur cette partie-là.
Transsexuel, un terme pathologisant
Tout d’abord, le terme « transsexuel » est un terme utilisé par la psychiatrie, ayant pour but de pathologiser la transidentité. J’ai beau lui avoir dit que le terme « transsexuel » était péjoratif, et que la transidentité n’était plus considérée comme une pathologie mentale, il n’a pas arrêté de l’utiliser. Qu’une personne se trompe, cela arrive. Mais qu’une personne continue d’employer ce terme en connaissance de cause ne relève plus de l’erreur, mais de l’intention.
Et même s’il prétend ne pas « pathologiser les transsexuels », il a déplacé cette « pathologie » ailleurs. Ce qui le démontre, c’est cette petite phrase digne d’un livre de développement personnel : problèmes intérieurs. Honnêtement, ça me rappelle le livre « Guérir son enfant intérieur ». Mentionner que les personnes trans’ souffrent de dépression, par exemple, et cherchent à en guérir en refusant leur sexe de naissance, c’est nier la violence quotidienne et la transphobie.
Ah. Et « avoir un entourage trans’, ce n’est pas un argument pour légitimer un tel discours. C’est comme si je disais « je sais ce que c’est le racisme, j’ai un ami noir ».
La transphobie décomplexée
On en vient au sujet préféré des TERFs (quand il ne s’agit pas de prétendre que les femmes trans’ sont des agresseuses) : les détransitions. Hormis qu’il ne cite pas de sources, il semble prendre très à coeur ces détransitions. Je pense qu’il fait allusion au thread du Figaro, et les articles qui ont pour but d’effrayer sur le « danger de la transidentité ».
Ce n’est pas un argument.
Enfin, disons que c’est encore une fois fallacieux. Ces articles sont une diarrhée numérique. Ils ne prennent que le cas d’une personne, et racontent ce qui les arrange. Pourtant, les détransitions représentent qu’une petite portion des personnes transgenres. Ici, je vous renvoie directement à l’article du Wiki Trans’ concernant ce phénomène.
Bon. Si je cite le Wiki Trans’ :
« Ainsi, cette étude réaliser aux Etats-Unis sur 22 000 personnes trans mesure 13,1% de personnes ont détransitionné d’une façon ou d’une autre. Il est cependant important de souligner que 82.5% de ces personnes détrans rapportent avoir subi des pressions à transitionner (de la transphobie, un rejet familial, des difficultés professionnelles, etc.) Ces détransitions concernent à 55% des MtF et à 45% des FtM (et non pas de façon disproportionnée des femmes transitionnant vers le genre masculin). »
Donc, si des personnes choisissent de transitionner… c’est parce qu’elles… subissent… DE LA TRANSPHOBIE. Eh oui. Quelle surprise !
De plus, certaines personnes peuvent arrêter leurs transitions pour diverses raisons : médicales, iels peuvent être satisfaites du résultat obtenu. Sur l’échantillon de 13,1% cité par le Wiki Trans’, il n’y a que 5% de personnes qui s’arrêtent, car cela n’est pas pour elleux.
Le point de vue cis et sa transphobie
Enfin, il y a un cis-gaze, ou « point de vue de personne cisgenre » dans ces propos. Encore une fois, les personnes cisgenres mettent le corps au centre de tout. Parcours romantisé, avec au coeur, la représentation d’un seul.
Pour ne pas changer, l’on limite nos histoires à notre capacité d’effectuer une transition médicale. Toutefois, il existe d’autres façons de transitionner ! L’on oublie la transition sociale : changement de pronom, nouvelle manière de s’habiller, etc. Dans mon cas, j’ajoute une « transition mentale ».
Dans le sens où, je me rappelle de plein de détails de mon enfance que j’avais enfoui jusqu’à mon Coming-Out. Cela se traduit par une façon de ressentir les choses et mon genre, le retour d’attitudes corporelles. Par exemple, ado, j’avais pour habitude de glisser mes mains dans les poches de mon jeans, avec les pouces qui sortaient. Le nombre de fois où l’on m’a repris, parce que ça… faisait mauvais genre.
Dans le cis-gaze, il n’y a qu’une seule façon de vivre la transidentité. Quelque chose que j’avais abordé dans « Cette fille, c’était mon frère », c’était l’espèce de voyeurisme qu’il y avait dans le roman autour des parties génitales. Et d’un moment très malaisant d’ailleurs. On retrouve de cela un peu ici, avec les questions de « detrans’ ». La « peur de déformation » du corps, comme si on le mutilait.
Pour terminer, cette personne m’a sans doute écrit cela en pensant que j’avais entamé une transition médicale — je pense ? —, ce qui n’est pas le cas. C’est sans doute pour cela qu’il a parlé de dysmorphophobie. Dans tous les cas, la dysmorphophobie est une obsession pour les défauts physiques, allant jusqu’à changer la perception que l’on a du corps.
Supposer comme arme de défense
Dans la vidéo de Contrat Point sur JK Rowling, il y a un moment que j’ai trouvé très intéressant . En résumé, Nathalie lit un tweet de Rowling, où celle-ci prétend soutenir les personnes transgenres… en finissant par un « si tu étais discriminé·e ». C’est ici que l’on retrouve un petit tour de manipulation, et que l’on pourrait croire que Rowling est favorable aux personnes transgenres. Dans le cas du commentaire, il s’agit de l’utilisation du conditionnel, du vouvoiement, de certains termes, et de l’argument qu’il présente comme autorité : « je sais de quoi je parle, j’ai des personnes transsexuelles dans mon entourage ».
Toutefois, l’utilisation du terme « transsexuel » démontre toute l’hypocrisie de sa prétendue question. Au début, moi aussi, j’ai cru qu’il s’agit d’une interrogation avec des biais transphobes. Toutefois, il a démontré en réponse à mes commentaires qu’il savait très bien que son propos était transphobe. Il n’a pas été capable d’argumenter, et s’est contenté de pointer du doigt la forme. Aucune critique de fond.
Malheureusement pour son argumentaire, j’ai été à la Sorbonne. Balancer des dissertations vides avec de jolies formules, je l’ai fait. Faire semblant d’avoir lu un livre pour un contrôle, et de disserter en me reposant simplement sur le choix d’un phrasé littéraire de qualité, je l’ai fait plusieurs fois en obtenant de bonnes notes. Bref, cela ne marche pas avec moi.
De plus, ce n’est pas la première fois que je fais face à de tels propos.
Entre maladresse, curiosité, et transphobie
Mettons : à chaque fois qu’une personne me pose une question, il y a une forme de contrat implicite qui se forme. La personne interroge en faisant preuve de respect, et souvent commence par un « je suis désolé·e si je me montre maladroit·e ».
En retour, je me dois de lui répondre à son interrogation en étant pédagogue. Les maladresses, cela arrive, je le répète. Généralement, l’on s’excuse après celle-ci. Dans ce cas-là, aucune n’excuse pour l’emploi du terme « transesxuel » n’a été prononcée. Et il a sortit aussitôt un « vous desservez votre cause », face à ma réponse où je le reprenais. Sans arguments.
Au-delà de l’habillage qui se veut poli, ces discours sont dangereux. Ils ne sont que des copiés/collés d’articles de journaux transphobes comme le Figaro, et démontrent que ces gens n’ont pas l’honnêteté intellectuelle de lire plusieurs sources. Et surtout : celles des personnes concernées.
En vérité, si cette personne a beau se vanter d’être éduqué, force est de constater qu’il n’a fait que recracher sans réfléchir des discours qui ne lui appartiennent pas.
Il fait partie du problème. Néanmoins, le danger derrière cela, c’est la banalisation décomplexée des remarques et insultes transphobes. Les médias jouent un rôle particulièrement défectueux actuellement. On doit cela à des TERFs, comme Jk Rowling.
Parce que oui, on ne peut pas séparer l’oeuvre de l’artiste.
Cette autrice est appréciée par de nombreuses personnes. Harry Potter est l’un des livres les plus lus au monde. La parole de Rowling pèse son poids : à force de discours anti-trans’, elle a remis nos droits en question. La peur que les TERFs nourrissent est telle qu’en Ohio, les petites filles voulant pratiquer du sport doivent subir un examen médical génital pour vérifier qu’elles sont « biologiquement » des femmes.
En conclusion : la transphobie est plus forte que jamais en France
Je pense qu’il y aurait beaucoup à dire de ce « débat ». J’ai préféré m’arrêter au commentaire de base, le reste n’était pas particulièrement intéressant. La plupart du temps, c’était une défense à base de « miroir-miroir », ou de « j’ai précisé de faire attention en disant que je ne considère pas la non-hétérosexualité comme une maladie mentale ».
À partir du moment où une personne se sent obligée en début d’argumentation de « préciser » qu’iel n’est pas « ainsi », c’est qu’iel a bien conscience de ce vers quoi iel tend.
Pour en revenir au sujet, nos existences sont politiques. Ce n’est pas parce que le gouvernement met des affiches avec « oui, ma petite fille est trans’ » que cela signifie que tout va bien.
Au contraire, le climat actuel me donne l’impression que nos droits n’ont jamais été en danger que maintenant. La banalisation du discours de l’extrême droite, la diabolisation de celui de la gauche… eh bien, ça ne me donne personnellement pas de grande foi en l’avenir. La Pride Bordeaux, par exemple, a connu des actions LGBTphobes…
Cela ne veut pas dire que le combat doit être abandonné. Loin de là. Les adolescents trans’ ont accès à de plus en plus d’informations, et évoluent dans un monde déjà plus inclusif. De mon temps, je n’avais pas de représentation de transidentité autour de moi. Actuellement, cela change. Petit à petit.