Temps de lecture estimé à : 9 minutesQueer-Coding : qu’est-ce que c’est ?
Une question simple pour définir le Queer-Coding : vois-tu la différence entre Scar et Loki ? Vraiment pas ? Oh. En fait, tu as raison : il n’y en a aucune. Scar et Loki sont ce qu’on appelle dans le jargon « queer-coded ». Ne t’en vas pas tout de suite ! Je vais t’expliquer en détail ce que cela signifie, être queer-coded.
J’ai introduit le retour de mon blog avec un essai sur The Rocky Horror Picture Show. Je t’invite à le lire ici. Dans tous les cas, l’on pourrait qualifier Frank’n’Further de Queer-Coded. Dans le sens où de nombreux personnages ayant le rôle de méchant le sont. Tu trouveras plus de points communs entre Scar et Loki que de différences.
Mais bon, c’est quoi, le queer-coding ?
Queer-Coding... Gné ?
C’est une façon d’écrire un personnage en lui supposant une certaine orientation sexuelle, ou identité de genre en empruntant certains clichés, mais sans le dire explicitement. Par exemple, Frank’n’Further de The Rocky Picture Show est ouvertement non-cis et non-hétérosexuel. Loki est genderfluid. C’est à dire que son identité de genre change et il est pansexuel. Quant à Scar, c’est un peu plus difficile de le voir aux premiers abords. Cependant, à l’instar de Loki, Scar a un grand frère qui représente tous les traits de la masculinité. Mufasa est fort, grand, supposément musclé et populaire ; Scar apparait plus délicat et maniéré, mais aussi plus intelligent. Si Loki et Scar ont des points communs, on peut dire que Mufasa et Thor aussi.
En gros, l’intelligence et le côté délicat de Scar et de Loki supposent que tous les deux ne sont pas hétérosexuels. Oh… cela ne veut pas dire que je vais mettre des personnages gays partout, et surtout dans les Disney qui se destinent aux enfants. Mais pense autrement : pourquoi la majorité des méchants des films Disney sont queer-coded ? On pourrait pousser cela plus loin : pourquoi les méchants sont-ils queer-coded ? Je vais te donner un autre exemple: si tu es un enfant des années 1990 comme moi, tu as sûrement regardé les Supers-Nanas.
Les personnages Queer-Coded dans les dessins animés
Te souviens-tu de « Lui » ? Un personnage si horrible qu’il n’a pas de nom. « Lui » a une voix assez chouette en français. Tantôt grave, tantôt plus féminine. Il a des allures de diable en talons et des pinces en guise de mains. Est-ce que j’ai besoin d’aller plus loin pour te prouver qu’il est Queer-Coded ? Le queer-coding inclut des stéréotypes négatifs sur les personnes LGBTQIA+ dans les dessins animés pour enfant. « Lui » est une caricature par exemple. Et même les oeuvres pour adultes ne vont pas y échapper ! Par exemple, on peut qualifier queer-coded le Joker dans l’univers de Batman. Comme Scar, comme Loki, comme « Lui », il a une attitude un peu maniérée. Cela est plus ou moins évident selon les auteurs, efféminé selon certains aspects. Tout cela pour l’opposer à la virilité de Batman.
Continuons avec Disney, as-tu aimé la Petite Sirène ? Vois-tu le personnage d’Ursula ? Savais-tu qu’elle s’inspire de la Drag Queen Divine ? On y retrouve d’ailleurs des allusions dans la manière dont Ursula est habillée et maquillée. Ratcliff quant à lui dans Pocahantas porte des noeuds dans ses cheveux, afin de ridiculiser le fait qu’il apprécie prendre soin de lui. Au-delà de ces aspects, les méchants sont décrits d’après leurs vices, mais aussi par leurs esprits indépendants et controversés. L’homosexualité a eu longtemps mauvaise-presse. C’est pour cela qu’on les représente en tant qu’antagonistes dans les films. Mais cela démontre simplement que c’est « mal » d’être Queer.
L'impact du Queer-Coding
On sous-estime l’impact de la fiction et de la pop-culture sur les enfants. Lorsque les dessins animés, extrêmement codifiés, montrent des personnages supposément gay ou transgenres comme étant les « monstres », les « méchants » qui torturent les animaux — Cruella —, pourquoi s’étonner alors de l’homophobie intériorisée ? Oh bien sûr, les choses évoluent. Si Disney se vante de faire des films plus inclusif en ne comptant que LeFou dans ses personnages homosexuels pour ceux sortit en 2017 — eh encore, son écriture laisse à désirer —, force est de constater qu’on aurait aimé une Elsa — La reine des Neiges — ouvertement lesbienne et fière. Dans tous les cas, on ne dit pas clairement Disney craint de sauter le pas. Après tout, on ne peut pas effacer autant d’années à opposer des héros hétérosexuels à des méchants gays.
Bref, les clichés sur les personnes queers ont encore la vie dure. « Lui » des Supers-Nanas est toujours un personnage inquiétant. Quand Bird of Prey met en scène un méchant gay semblant entretenir une relation avec son subordonné. De quoi faire rouler des yeux, n’est-ce pas ?
Oui, mais au moins il y a des gays !
Alors… oui, au moins il y a de la représentation gay dans les oeuvres… Enfin, cela ne poserait pas souci si la grande partie du temps, ces personnages n’étaient pas les méchants, justement. Je l’ai dit plus haut : cela donne l’impression aux enfants et aux adolescents qu’être queer, c’est mal, et mérite d’être puni — ce qui arrive dans les films en général. Prenons Pokemon avec la Team Rocket, parce que oui James est queer-coded. Il est plus délicat que Jessie — ce qui participe au ressort comique. Il n’a aucun souci à se déguiser en femme s’il le faut, bref il sait jouer avec les codes du genre. Mais voilà… la Team Rocket est un trio de méchant tourné au ridicule pour leur incapacité à voler le Pikachu de Sasha.
Pourquoi queer-coded ?
Pourquoi a-t-on autant de méchants queer-coded ? La réponse est simple, ce n’est pas que pour donner mauvaise presse aux communautés LGBTQIA+. Mais aussi parce que ces méchants s’opposent aux normes cis-hétéronormées. Cette opposition est ce qui leur donne – aussi – une forme de génie. Ces personnages savent penser à contre-courant et démontrent souvent d’une haute intelligence. En résumé : Scar et Loki pensent outisde the box. C’est ce qui leur permettent de mener leurs plans machiavéliques. Mais aussi ce qui les pousse à une forme de cruauté. Ce non-respect des règles hétérosexuelles, et sociales en fait aussi des personnages charismatiques. Scar est maniéré, parce que Mufasa est masculin… mais Scar est plus intelligent, alors que Mufasa est droit et juste.
Les différents type du Queer-Coding
Les personnages queer-codes sont apparus dans les films des années 30, où représenter l’homosexualité à l’écran était répréhensible. Être gay durant ces années était vu comme une forme de perversion, on le considèrait aussi comme une pathologie mentale. Les personnages queer-coded ont des rôles reconnaissables :
« Sissy » , un personnage dont l’attitude est efféminée. On le retrouve dans les clichés du meilleur ami gay, par exemple. Ce cliché est devenu extrêmement courant, on l’utilise en ressort comique.
« L’artiste », qui n’est pas sans rappeler – pour ma part – les romans du XIXe siècle, comme Dorian Gray. Ou beaucoup de figures homosexuelles dans A la Recherche du Temps Perdu. Ils pensent au-delà des normes, ils sont tentateurs, et leur attrait pour l’art les rend extravagants. Ils incarnent souvent l’oisiveté et l’attrait du luxe.
Le serviteur flagorneur, dont on a une illustration avec le personnage de Niles dans une Nounou d’Enfer qui n’est certes pas gay, mais dont l’attitude maniérée et les remarques cyniques vont dans l’écriture « queer ». Le serviteur flagorneur est souvent proche de son employeur. L’une des illustrations les plus évidentes de ce cliché se trouve dans les Simpson avec Smithers. Ce dernier semble être amoureux de Monsieur Burns, son supérieur.
Le tueur en série Queer-Coded
Enfin, le sadique. Comme dit précédemment, l’homosexualité a été considéré longtemps comme un vice. Voilà pourquoi il n’est pas rare de croiser des méchants queer-coded avec des proportions pour la violence. Celle-ci se relie de près ou de loin avec un désir sexuel ; ce cliché du méchant gay et sadique a pour rôle de rendre le spectateur inconfortable. Prenons la série Hannibal par exemple. Le personnage éponyme est réputé pour sa cruauté et sa haute intelligence. Plusieurs fois la mise en scène joue avec l’homo-érotisme de Hannibal envers Will Graham. Le souci avec ce cliché précisément, c’est qu’il entretient l’idée qu’être gay est une perversion, quelque chose de mal, et surtout que les personnes homosexuelles sont des tueurs.
Représenter des personnages LGBTQIA+ à l’écran n’est pas une mauvaise chose. Le souci est qu’ils sont souvent associés à des méchants. Nous sommes tellement habitués à ces clichés qu’ils sont repris, régulièrement. Ils sont reconnaissables que ce soit par la gestuelle du personnage, les vêtements, la manière de parler. Regardez comment Scar, Ursula, le Prince Jean ou Jafar bougent par exemple. A chaque fois que nous voyons un personnage ainsi à l’écran, on sait… qu’il est gay ou méchant. Cela véhicule des clichés, et les lesbiennes ne sont pas non plus en reste. Avec le stéréotype de la « butch », la femme qui intègre tous les traits de la masculinité que ce soit dans sa personnalité, ou ses vêtements (Gazon Maudit est l’un des films les plus parlants sur ce point).
Le Queer-Coding en conclusion
Une fois que l’on a vu ces mécanismes, ils apparaissent comme évidents dans les oeuvres que l’on consulte. Que ce soit au cinéma ou dans les séries, ou encore dans les jeux vidéo (presque tous les méchants de Final Fantasy ressemblent à des étudiants en art gays et malheureux – Sephiroth ou Seymour en sont des exemples), le queer-coding est encré. Je ne dis pas que c’est grâce à mon gaydar que je suis capable de les repérer, mais parce que c’est évident une fois qu’on est au courant. Je vous envoie sur cette vidéo (en anglais) qui aborde très bien le sujet.
Maintenant, toi aussi, tu vas être capable de savoir si tel personnage de tel oeuvre est queer-coded. Pour en revenir à Batman, si le Joker n’a pas d’orientation sexuelle bien définie, c’est le cas de ses acolytes féminines. Telles que Poison Ivy et Harley Quinn ou encore de Catwoman. S’il s’agit d’un fantasme masculin, on peut se poser la question : pourquoi ? Au moins, les choses évoluent puisque Jason Todd, le duo de Batman que l’on connait sous le nom de Robin a fait son CO bisexuel. Ah ! Si Disney pouvait ouvertement accrocher à cette tendance, sans faire de queer-baiting !