Temps de lecture estimé à : 24 minutesRocky Horror Picture Show, LA comédie musicale d’horreur et de genre
Nous sommes le 31 Octobre, ce qui veut dire Halloween ! C’est le meilleur moment pour parler d’un film ayant marqué des générations : The Rocky Horror Picture Show avec Tim Curry en tête d’affiche. C’est en 1975 que The Rocky Horror Picture Show sort au cinéma. Il a été Réalisé par Jim Sharman, d’après la pièce de théâtre de Richard O’Brien. Malgré le fait qu’il ait été mal reçus, il détient pourtant le record du monde du film resté le plus longtemps à l’affiche. En effet, depuis plus de quarante ans, certains cinémas le diffusent encore. D’ailleurs pour l’anecdote, c’est ainsi que je l’ai découvert ; je suis un jour tombé sur un reportage parlant d’une petite salle parisienne le diffusant.
Je pourrais causer des heures de ce film ; il a toujours exercé une forte fascination sur moi. Ou plutôt j’adorais son protagoniste : le docteur Frank’n’furter pour son génie, et sa capacité à se libérer des injonctions sociales. C’est que depuis récemment que j’ai compris « pourquoi », mais j’y reviendrai plus tard ! Alors restez jusqu’à la fin si vous voulez comprendre pourquoi la tête d’affiche de The Rocky Horror Picture Show est… non-binaire.
Si vous êtes attentif, et si vous me suivez depuis un petit temps sur ce blog, ou sur les réseaux sociaux, le choix de mon retour par ici avec ce film en particulier n’est pas un hasard. Halloween me semble être une date parfaite pour reprendre. Et contrairement à ce qu’on pense d’abord, ce n’est pas d’une comédie musicale !
Surpris ?
C’est que le début.
The Rocky Horror Picture est un film d'horreur
En vérité, la raison se retrouve dans le titre du film : The Rocky Horror Picture Show, c’est bien un film d’horreur. Si Rocky prête son nom au film, il n’est pourtant pas le personnage central. Son rôle est plutôt discret, ombragé par Fran’k’n’Further.
Tous les deux sont évidemment une allusion à Frankenstein. Pour celleux du fond : Frankenstein ou le Promothée Moderne de Mary Shelley est un roman paru en 1818. Il impose dès lors les codes du genre fantastique et gothique. On y suit l’histoire du Docteur Frankenstein, qui cherche à créer un humain de façon artificiel. Il s’agit d’une oeuvre ayant fortement marqué la culture populaire. Au point où dans notre sujet ici,The Rocky Horror Picture Show parodie Frankenstein dans les grandes lignes.
Premièrement, il est facile d’y voir l’allusion dans le nom du protagoniste, le Docteur Frank’n’Furter, pastiche de Frankenstein. D’ailleurs, l’on peut traduire son nom de plusieurs manières. Comme « saucisse de Francfort », d’autant plus que le Docteur Van Scott y fait allusion. De plus, il sonne un peu comme « rock’n’roll », et « Further » démontre l’aspect visionnaire de son personnage principal. Il faut encore un élément pour vous convaincre ? L a chanson où Janet et Brad arrivent au château du Docteur.
Une parodie de film d'horreur
L’ambiance du film reprend tous les codes du film d’horreur. Le château perdu en plein milieu de la forêt, mais aussi avec certaines de ses ambiances, ou de ses twists. Avant que le Docteur ne donne vie à Rocky par exemple, ou même la naissance de celui-ci tiré de Frankenstein.
Le meurtre violent d’Eddie entre autre. Le retournement de situation au cours du dîner, où le Docteur révèle que la table n’est rien d’autre que le cercueil de verre où il repose. Pour ma part, j’ai toujours pensé que que Frank’n’Further leur servait Eddie à dîner.
Au-delà du gros sous-entendu, ce qui l’indique est un jeu de mots ! L’acteur d’Eddie n’est rien d’autre que Meat Loaf, un chanteur dont le nom peut se traduire par « pain de viande ». Meat Loaf a pris ce nom scène suite à une remarque qu’un professeur avait fait, car il pesait 120kg à son adolescence. Cette scène est d’ailleurs truffée de blagues au second plan.
Avez-vous remarqué que la seule personne à boire dans un verre était Frank’n’Further ? Et qu’à partir du moment où tous semblent comprendre d’où provient la viande, le seul continuant de manger est Rocky ? Le cannibalisme est un cliché du cinéma d’horreur. Savez-vous que le lieu de tournage du film a servi aussi pour Hammer ? Désormais, Oakley Court est devenu un hôtel de luxe.
Des allusions à plusieurs niveaux
Les gros éléments de l’intrigue, et les allusions à Frankenstein — sans oublier le titre ou la coupe de Magenta à la fin du film — font de Rocky un film d’horreur. Néanmoins : ce qu’on qualifie d’horrifique et de « monstrueux » sont le Docteur, ses employés, et les invités du château.
Il n’y a qu’à voir les réactions de Janet lorsque Brad et elle rencontrent les Transylvaniens — venant littéralement d’une autre planète. Elle passe son temps à s’évanouir devant tant d’effroi. Pourquoi ? Parce que nous avons dans The Rocky Horror Picture Show la vision restreinte et hétéronormée de la société, face à l’univers queer et Drag dont vient le Docteur.
Pour conclure, Riff Raff ressemble à Nosferatu et mord Magenta. Alors que la première apparition du Docteur le met en scène avec une cape digne de Dracula. Pour terminer, n’oublions pas que les Transylvaniens sont une race extra-terrestre. C’est une comédie musicale parodiant les films d’horreur.
The Rocky Horror Picture Show et l'American Gothic
Je ne sais pas pour vous, mais le couple que formait Janet et Brad m’a toujours fait grincer des dents. L’ouverture du film où Brad prend conscience qu’il veut épouser Janet sur la simple base que celle-ci est parvenue à attraper le bouquet de fleurs est évocateur.
Nous trouvons dans cette scène beaucoup d’éléments parodiques, que ce soit l‘American Gothic que forment le duo devant l’église. Grant Wood crée cette peinture en 1930. Certains l’ont interprétée comme une satire de la vie rurale américaine. Une autre façon de le voir serait que le tableau met en scène la fin de la vie victorienne.
D’ailleurs, ce tableau n’est pas sans rappeler le mouvement littéraire gothique aux USA. Avec la représentation de son duo qui rappelle le Sud. Comme son penchant anglais, on y présente des lieux isolés et liés au surnaturel. C’est aussi le cas au sein de l’intrigue de The Rocky Horror Picture Show.
Une Amérique critiquée
On le retrouve aussi dans le château Frank’n’Further. Il semble collectionner de nombreuses oeuvres d’art — démontrant son goût du luxe, ou plutôt sa volonté à montrer sa fortune, comme le ferait un nouveau riche par exemple. Bref, ce tableau s’ancre dans l’histoire des États-Unis. Voilà pourquoi il se retrouve dans la scène d’ouverture. Brad et Janet incarnent une Amérique hétéronormée, peu ouverte, clichée. Janet est une jeune femme blonde, portant du blanc jusqu’à ses sous-vêtements. Elle incarne la jeune fille vierge en âge de se marier, qui se repose essentiellement sur son fiancé, Brad.
L’amour que tous les deux ressentent l’un pour l’autre semble superficiel. Il est dicté par la société d’avantage que par leurs sentiments respectifs. Ils incarnent l’innocence, mais aussi la naïveté. De plus, ils suivent les traditions : annoncer leurs fiançailles à leurs anciens professeurs, comme si ce dernier avait un rôle paternel et devait accepter leur mariage.
Une scène d'ouverture qui en dit long
Dans cette scène d’ouverture, il y a tout un tas d’éléments critiques vis-à-vis de du puritanisme américain. Au-delà des clichés (le bouquet de fleurs, le panneau sur lequel est écrit Denton, the Home of Hapiness avec le coeur), il y les remarques que se font les personnages entre eux. Entre celles qui disent que les mariages les font pleurer — l’ironie étant qu’un enterrement semble suivre —, ou que Janet envie son amie de porter le nom de famille de son époux.
Quant à Brad, il met en avant qu’elle est une excellente cuisinière. On y voit une image de la femme normée, dont le rôle se limite à satisfaire les besoins de son époux. Janet court même jusque dans l’église se vanter que sa bague de fiançailles est mieux que celle de son amie…
En quelques minutes, le film pastiche les romances à l’eau de rose. Il y dénonce aussi l’hypocrisie du puritanisme américain. Plus tard, il en démontrera les failles. De plus, avez-vous remarqué que le Docteur, ainsi que Riff Raff et Magenta sont présents ?
Le choc culturel
Lorsque Janet et Brad rencontrent les Transylvaniens, Brad lui dit entre autres de ne pas avoir peur, et que leur attitude est vraisemblablement vient d’une différence culturelle. Au-delà du sous-entendu raciste que Brad fait, il y a une blague sous-jacente ; les Transylvaniens sont en vérité des extra-terrestres. Cette remarque de Brad m’a toujours fait rire jaune, car il démontre encore une fois la critique que fait The Rocky Horror Picture Show sur la bien-pensance américaine, à laquelle Frank’n’Further s’oppose en tant qu’entité machiavélique. D’ailleurs, Frank’n’Further et son expression de genre ambigu s’oppose à une vision cis-hétéronormé de la masculinité. D’abord, en contraste à Brad qui incarne le garçon bien éduqué — mais pas trop musclé, pour reprendre les paroles de Janet —, mais ensuite par rapport à Rocky. Ce dernier est certes la création de Frank’n’Further, mais il est surtout bâti sur un idéal de virilité.
L'homme idéal
La chanson « I can Make you a Man » parodie cet idéal. Rocky y est réduit à ses muscles, sa beauté, mais aussi sa naïveté. Ses centres d’intérêt ne vont pas plus loin que la musculation. C’est un produit que le Docteur a crée en sept jours — comme Dieu créa le monde en sept jours pour les gens du fond.
Ici, l’échelle des valeurs est inversée. Dans le sens où nous n’avons pas une femme-objet façonnée selon les goûts des hommes. Rocky est un idéal de virilité — yeux bleus, blonds… —, et est l’objet. C’est un Ken grandeur nature, dont le rôle est de satisfaire Frank’n’Further selon ses fantasmes.
Enfin, dans « I can Make you a Man », on peut trouver un autre sens ; pas celui de création, mais de construction sociale. A contrario, Frank’n’Further est un modèle de contestation face aux idéals de virilité.
Pour conclure sur cette partie, la manière dont Eddie traite les femmes démontre un certain sexisme ; on y retrouve la femme trophée par exemple dans sa chanson d’introduction.
Rocky, un héros oublié ?
L’on peut se demander pourquoi Rocky est le personnage éponyme, alors que le protagoniste est le Docteur. Je pense que si l’on garde en tête que The Rocky Horror Picture Show est un « film d’horreur », cela est logique. Comme le dit Rocky dans la chanson de son réveil, il a l’impression de sortir d’un mauvais trip.
De même que si le film parodie Frankenstein, une erreur courante est de croire que Frankenstein est le nom de la créature, alors qu’il s’agit de son créateur ! Ici, la situation est inversée ; Rocky est le nom de la création du Docteur, et celui-ci est le personnage central.
Enfin, Rocky est considéré avant tout comme un objet de désir voir un produit de consommation. Il est l’incarnation de l’homme parfait, mais il n’en reste pas moins naïf, et témoigne d’une certaine bonté. Il est le premier vers qui Janet se réfugie lorsque Frank’n’Further s’en prend à elle, et aussi le premier homme qu’elle semble désirer parce qu’il est vulnérable.
Rocky est aussi ce qui mènera le Docteur à sa perte, un peu comme l’était la créature de Frankenstein pour son créateur dans le roman. La créature se venge de Frankenstein et gagne le repos, quand celui-ci n’a plus personne.
Le seul véritable personnage doué de bonté ?
Concernant Rocky, j’ai toujours eu le sentiment que c’était le seul personnage profondément bon, et doué d’amour du film. Dans le sens où Janet et Brad ne sont pas réellement amoureux, mais ils croient l’être ; ils confondent attirance et amour. Ils basent leurs attentes sur un modèle social autour du mariage.
Voilà pourquoi il est autant facile pour le Docteur Frank’n’Further de les faire céder, de même qu’il ne ressent pas d’amour – peut-être hormis pour lui-même —, mais il a une volonté de tout posséder. Je crois que Frank’n’Further incarne à lui seuls les péchés capitaux, mais celui qui le décrit le mieux est – selon moi – la cupidité. Il n’aime pas les gens, il les possède — Columbine le dira. Quant à Mangeta et Riff Raff, ils ont une relation ambiguë, et ils sont… frères et soeurs.
Est-ce que Rocky aime Janet ? Ou bien ne réagit-il qu’à un désir sexuel qu’elle exerce sur lui ? Si la sexualité des autres personnages est définie, la sienne moins. L’on sait qu’il couche avec le Docteur Frank’n’Further, mais la présence des chaînes sur le lit… nous fait poser des questions sur son consentement.
Cependant, l’amour que semble avoir Rocky pour son créateur peut être comparé à celui d’un enfant. Parce que voilà, même si Rocky a le corps d’un homme, son esprit est encore jeune — la scène du repas le prouve. C’est un être primitif, mais cette permittivité le rend innocent, désintéressé, et la scène finale où il grimpe comme King Kong avec le corps du docteur sur lui le démontre assez. Si c’est certes une parodie, on peut y voir en Rocky une victime, à la fois du Docteur et de ses machinations, mais aussi de Magenta et de Riff Raff. Leur but étant de l’éliminer depuis le début.
La liberté sexuelle dans The Rokcy Horror Picture Show
Avec la lecture actuelle que j’ai de ce film, il m’est impossible de voir autre chose qu’une ode à la libération sexuelle, et à la célébration d’être soit. Comme je l’ai déjà dit plus haut, The Rocky Horror Picture Show se moque du puritanisme américain.
En quelque sorte, Frank’n’Further est une « insulte » à la bonne pensée américaine. Libéré sexuellement, il s’affranchit aussi des codes binaires et ne s’inquiète pas du regard des autres. Il y a aussi dans ses chansons beaucoup d’allusions sexuelles, des doubles sens et des jeux de mots sur la vigueur de Rocky. Quand il s’adresse à Janet et Brad, c’est toujours avec une espèce de moquerie ou de mépris, notamment lorsqu’il les fait déshabiller pour leur donner des blouses, prétendant que cela les rendra « moins vulnérables ».
La nudité se relie à l’innocence dans notre imaginaire collectif. Sans rien pour se couvrir, les individus ne se cachent plus. C’est aussi une façon de mettre Brad et Janet à nus devant les autres, comme s’il leur faisait enlever les costumes qu’ils portaient au quotidien.
Le cas de Janet
Pour ma part, j’ai toujours trouvé le personnage de Janet insupportable. Son écriture n’est pas mauvaise, au contraire, elle est le reflet de ce qu’on attend d’une femme à l’époque. Elle n’est pas sans me rappeler Sandy de Grease — mêmes cheveux blonds, même côté BCBG —, et tout ce cliché de la fille intelligente — mais pas trop —, bien sûr tous les rapports. C’est peut-être pour ça que c’est la première que Frank’n’Further va voir.
Si l’on peut se poser des questions sur le consentement de Janet — Frank’n’Further se fait passer pour Brad, et la force —, on constate qu’elle finit par céder. Ce n’est que le début de la fin pour Brad et Janet, mais surtout, la scène suivante où elle couche avec Rocky est pour moi importante, surtout à l’époque où le film a été sorti. Janet passe de passive à active, c’est elle qui prend les devants avec Rocky, en mettant en avant son désir sexuel.
Souvent dans les films — et cela est plus fort en 1975 —, l’homme est acteur de son désir. C’est ce qu’on montre encore à l’écran aujourd’hui. Et la question du désir et du plaisir féminin est souvent mise de côté.
Peut-on parler d’empowerment féminin ? Je ne sais pas. Dans tous les cas, le sexe tient une place importante dans le film, sans qu’il soit explicite pour autant. Les allusions sexuelles font florilèges, et le Docteur Frank’n’Further casse le cliché de la Drag Queen passive. Bien au contraire, c’est toujours lui qui prend les devants, va jusqu’à enchaîner Rocky, et joue vraisemblablement l’actif avec Brad.
Une rare représentation de relation gay
Si la question du consentement peut se poser avec lui aussi, on constate surtout ce que Frank’n’Further prouve à Janet et Brad toute l’hypocrisie sur laquelle repose leurs couples. Ils ne sont pas mieux que lui, ils cèdent à leurs passions et au désir sexuel qu’il maintient sur elleux. De plus, rappelons encore que le film est sorti en 1975. Les relations gays au cinéma n’étaient pas démocratisées.
S’il n’y a rien de montrer entre Frank’n’Fruther et Brad, n’en reste pas moins qu’on sait qu’ils ont eu une relation homosexuelle, et la scène où Janet aperçoit Brad en train de fumer sa cigarette est encore un pastiche. Ce cliché est récurrent. On peut même se demander si Janet a déjà vu Brad fumer auparavant, et encore une fois, cela prouve que leurs couples n’a pas de bases saines.
Tant que cela est fait dans le secret, aucun des deux n’oppose de résistance à Frank’n’Further. Enfin, Janet démontre son manque de connaissance sur la sexualité. Si Magenta et Columbine se moquent de la virginité de Janet, celle-ci prend le pouvoir sur son désir en allant voir Rocky. D’ailleurs, au moment de son orgasme, on voit les différents personnages du film, dont les personnages féminins. Bref, comme Brad, Janet s’ouvre à d’autres perspectives. En quelque sorte, au-delà de raconter une histoire d’horreur, The Rocky Horror Picture Show parle de libération sexuelle. Le film se moque aussi de l’hétéronormativité.
L'aspect Drag Queen de Frank'n'Further
Pour mieux cerner la critique sociale que fait The Rocky Horror Picture Show, il faut voir un rapide aperçu de la culture Drag et de son impact dans notre société. Entre autres, le fait de se travestir est une forme de transgression ; on rompt les normes binaires, on s’approprie les codes du genre adverse.
Pour rappel, si la marche des Fiertés existe, c’est grâce à deux femmes transgenres, noires, Drag Queen et travailleuses du sexe. Marsha Johnson était une femme transgenre et une Drag Queen, dont on prête le début des émeutes de Stonewall ; en vérité, elle expliquera dans une interview qu’elles avaient commencé bien avant.
Dans tous les cas, c’est une figure emblématique, puisqu’elle a fondé STAR, une association qui recueillait dans les années 1970 les jeunes LGBTQIA+ rejetés par leurs parents. Le Drag n’est pas qu’une affaire de cis, loin de là, mais une mise en scène parodique se basant sur les stéréotypes des genres. Quand on voit le Docteur Frank’n’ Further, en bas résille, maquillé et en chaussures en talons, comment ne pas y voir un lien avec le Drag ?
Célébrer ce que l'on est
Frank’n’Further pourrait même être une Drag Mother, puisque les Transylvaniens sont sous sa coupe, et il accueille volontiers Janet et Brad. Comme une Drag Queen, Frank’n’Further détourne les clichés, joue avec eux, et se les approprie. Il semble être pansexuel, et polyamoureux. Plusieurs fois, les personnages se plaignent qu’il ait entretenu des relations avec eux, avant de passer à une autre personne. Mais aime-t-il sincèrement ? Ou bien veut-il posséder les autres ? Il est avant tout égocentrique. Malgré tout ce personnage est au centre du message que le film présente. Ce message se retrouve dans la chanson de clôture : don’t dream it, be it.
The Rocky Horror Picture Show et non-binarité
Lorsque j’étais adolescent, et que j’ai rencontré pour la première fois ce personnage, j’ai été attiré. Je ne savais pas expliquer pourquoi, mais en vérité, Frank’n’Further n’exerçait pas une fascination sur moi ; plutôt, il me donnait envie d’être moi-même, et j’admirais cette capacité chez lui à l’être sans s’intéresser à ce que les autres pensaient.
Si l’égocentrisme est l’un des traits de ce personnage, force est de constater que Frank’n’Further portait sur ses épaules les prémices de ce que moi aussi, je voulais être. J’ai vu ce film à des différentes périodes de ma vie, et jusqu’à récemment, je ne parvenais pas à mettre le doigt sur ce qu’il me faisait ressentir. Oui, il est évident que Frank’n’Further est une icône queer, mais il n’est pas que ça. Je devrais même employer IEL pour parler de lui.
Pourquoi ?
Une histoire de contexte
Parce que Frank’n’Further est un personnage non-binaire, et iel l’annonce dès Sweet Tranvestite. Iel vient de la planète « Transexuel ». Il faut savoir qu’à l’époque, les questions sur la transidentité n’étaient pas aussi poussées qu’aujourd’hui. Surtout : elles n’étaient pas mises en avant du public cis-hétéro.
Cette chanson détourne l’idée de ce que se font les personnes cis-hétéro du monde gay, et surtout de ce qu’est la transidentité, alors méconnu du grand public. Les shows de Drag Queen ont commencé dans les années 1950 aux États-Unis, et les Drag Show permettaient aux femmes transgenres d’expérimenter sur scène ce qu’elles sont.
Le terme « transexuel » était d’ailleurs utilisé pour désigner les personnes transgenres, selon des cases arbitraires décrites par la psychiatrie. Au passage, ce terme n’est plus utilisé pour désigner les personnes transgenres. Il est considéré comme pathologisant : en 1980, le mot transsexualisme a été inclus dans la liste des troubles mentaux (DSM). Bref, il s’agit de considérer que nous sommes malades.
Néanmoins, on ne peut pas reprocher à O’Brien d’utiliser ce mot dans sa comédie musicale, puisqu’il devait s’agir du plus courant. Dans tous les cas, le message est là : Frank’n’Further vient d’un endroit où les personnes transgenres existent – en plus du jeu de mots entre Trans-sylvanie et Trans’sexuel.
Ne pas séparer l’œuvre de l'artiste
Les premières fois où je visionnais The Rocky Horror Picture Show, je me demandais qui et quoi était Frank’n’Furthe. Son identité de genre n’est pas clairement défini. Ce qui est une définition en soit de la non-binarité.
Depuis mon Coming-Out, cela m’est apparu évident que Frank’n’Further était une personne non-binaire ! En plus de répondre plus profondément à l’admiration que je ressentais pour ce personnage, j’ai redécouvert son écriture sans mon point de vue cis-hétéro. Mon évolution en tant que personne non hétérosexuelle, et surtout non-cis m’a permis de redécouvrir les forces de Frank’n’Further.
Vous pensez que je raconte n’importe quoi, et que je cherche à imposer une vision non-binaire ? Vous serez alors surpris d’apprendre que l’auteur de The Rokcy Horor Picture Show est non-binaire. Iel joue Riff Raff dans le film, dont l’apparence s’emprunte à Nosferatu comme dit plus haut. On y retrouve l’allégorie au monstre vivant hors de la société humaine… comme Frank’n’Further. Richard O’Brien, l’auteur donc de la pièce, a dit dans une interview de 2009 de The Crystal Maze qu’iel se considérait entre le genre masculin et féminin, iel se considérait transgenre ou faisant partie d’un troisième sexe. Je ne sais pas ce qu’il vous faut de plus ! Si certains d’entre vous pensent que la non-binarité est une mode de jeunes, sachez que Richard O’Brien est né en 1942, et qu’au moment de cette interview, iel avait 67 ans.
The Rocky Horror Picture Show invite à se libérer des normes
N’oublions pas que Frank’n’Further dit clairement dans Sweet Tranvestite qu’iel n’est pas vraiment un homme, et surtout qu’il ne faut pas juger un livre d’après sa couverture. Iel n’est pas ce qu’iel parait être ; au fond, iel a raison, iel n’est pas un « homme », mais un extra-terrestre comme le prouvera la fin du film. L’on pourrait prendre toute cette chanson pour un coming-out. Iel célèbre ce qu’iel est vraiment — non-binaire et extra-terrestre — en disant ouvertement d’ailleurs qu’iel ne vient pas de la terre. Rappelons que Brad excuse les extravagances de Frank’n’Further par son caractère « étranger », sans de douter un instant que la personne qu’il a face à lui vient littéralement d’une autre planète.
Encore une fois, la métaphore de l’extra-terrestre permet à Frank’n’Further de se débarrasser des normes humaines, et d’en faire qu’à sa tête. De plus, l’extra-terrestre représente symboliquement la peur de l’étranger et de l’inconnu. C’est l’autre dont on ne sait rien, l’envahisseur. Je suppose que pour beaucoup de cis-hétéros, les personnes queers doivent apparaître ainsi, d’autant plus dans l’univers coloré des Drag. Nous sommes des « monstres », des « anomalies » aux yeux des personnes cis… Alors l’allégorie des Transylvaniens est toute trouvée, non ?
The Rocky Horror Picture Show, une fin déprimante
La fin de The Rocky Horror Picture Show m’a toujours déprimé. La mort de Frank’n’Further, malgré ses défauts et le meurtre d’Eddie m’a toujours donné l’impression qu’au final, c’était « eux » qui avait le dernier mot sur nos existences. L’ambiance de la conclusion est elle-même triste, finit la fantaisie. Les différents personnages humains rampent comme des nouveau-nés, l’on dirait une fin de soirée endiablée qui doit faire face au matin et le retour à la normalité. Cette fin me frustre, parce qu’elle sonne un peu comme : voilà, ils ont gagné, ils ont encore les droits sur nos vies. Sachant que le film date de 1975, ce n’est pas étonnant que le destin de Frank’n’Further se clôture ainsi. Tout en couleur, décadent, mais finissant sur ce « je rentre à la maison », maison dont Magenta et Riff Raff lea coupent avant de lea tuer.
Je pourrais parler des heures et des heures de ce film, et de comment la figure de liberté que Frank’n’Further incarne a été pour moi un modèle, et à quel point le message qu’iel délivre dans « don’t dream it, be it » est fort… mais nous arrivons à la conclusion de l’article. Nous sommes le 31 octobre, le soir d’Halloween où les monstres peuvent se mêler aux humains. Quand tous sont déguisés, comment faire la différence ?
Conclusion sur The Rocky Horror Picture Show
Cela me paraissait être un bon article pour sonner le retour du blog, avec des touches plus personnelles. J’adore The Rocky Horror Picture Show, alors qu’habituellement, je ne supporte pas les comédies musicales ; peut-être que ça marche pour moi pour son aspect parodique, mais surtout parce que les sujets abordés me concernent directement. Le film a cette énergie salvatrice qui me donne envie d’arrêter de rêver, et d’être moi.
Et aujourd’hui, plus que jamais, je comprends la force de ce message, il me donne l’impression d’être légitime et d’avoir le droit d’exister, en dehors de tous les codes binaires. Je n’ai pas à m’y conformer si cela ne me correspond pas.
Si ce premier article vous plait, je vous invite à me suivre, moi, Antagoniste, dessus ou sur mes divers réseaux sociaux pour ne rien rater ! Si tu n’es pas concerné·e par la question de la non-binarité, ne fuis pas trop vite, et dis-moi en commentaire ce que tu penses de tout ça. J’espère que cette introduction t’aura plu ! De même, si tu es concerné·e, je t’invite à venir ajouter ta touche dans l’espace commentaire ; je suis certain que tu as des choses à rajouter.