Temps de lecture estimé à : 9 minutesMy Absolute Darling de G. Tallent, un chef d’œuvre ?

Temps de lecture estimé à : 9 minutes

Est-ce que My Absolute Darling est un roman féministe ? À chaque fois que j’entends parler d’une oeuvre écrite par un homme, et qu’on qualifie de « féministe », je me méfie. Malheureusement, jusque là, les livres écrits par des hommes et qui se disaient féministes donnaient raison à ce sentiment désagréable.

My Absolute Darling n’y échappe pas. Pourtant, le postulat de départ m’encourageait à y croire : Gabriel Tallent a été élevé par deux mamans féministes. Son livre est une dénonciation du mal patriarcal, et dénonce le lobby des armes aux États-Unis.

Mais voilà, il y a certaines choses qui m’ont fait grincer des dents durant ma lecture. Même encore deux après. Alors je vous propose d’étudier le cas d’école qu’est My Absolute Darling ! Avant tout, si certains sujets comme le viol, l’inceste, et la violence vous choquent, je vous encourage à vadrouiller ailleurs sur le blog.

De quoi ça cause, My Absolute Darling ?

C’est l’histoire d’une adolescente de 14 ans, Turtle dressée par son père en parfaite petite soldate. Elle sait utiliser les armes à feu, chasser, et ses seules interactions sociales avec les enfants de son âge sont à l’école. Son  père est survivaliste et abusif, et jusqu’ici, elle n’a connu que lui. Tout change, le jour où elle rencontre Jacob, un adolescent solaire.

Le titre est donc parfaitement ironique, vu le contexte du roman. D’ailleurs, il s’agit de la première oeuvre publiée par l’auteur, et je pense qu’une majorité de ce que je lui reproche vient d’un manque de maturité dans son écriture.

 

Une intrigue prévisible

Si j’ai beaucoup aimé son style, qui m’a aidé pour ma part à bien visualiser les scènes, et l’environnement dans lequel évolue l’héroïne, certains pourraient lui reprocher d’être trop verbeux. Malgré tout, cela permet de s’immerger dans la vie de Turtle, avec une ode à la nature sous-jacente et qui reste présente tout le long de l’intrigue. Néanmoins, si la forme m’a plu, c’est le fond qui m’a fait grincer des dents plus d’une fois.

L’intrigue ne m’a pas surpris une seule fois, et l’arc final est tombé un peu maladroitement. Je ne me suis pas spécialement attaché à Turtle, mais là, ce qui m’intéressait le plus, c’était de voir comment elle allait s’en sortir face à son père. Je reconnais toutefois que c’est une sacrée héroïne, mais sa psychologie est parfois… un peu surréaliste, et répond surtout aux besoins de l’intrigue.

Visuellement, je pense que ce serait un roman intéressant à voir porté au cinéma.

My Absolute Darling : la misogynie survivaliste.

Le survivalisme est un mouvement américain, dont on peut voir un aperçu dans certaines séries comme The Walking Dead. La différence ? C’est que ces personnes s’éduquent pour survivre à une fin du monde.

Ces personnes vont apprendre des techniques de survie avec des bases en médecine « au cas où », ou iels vont chasser par exemple, . Ce mouvement est né durant la Guerre Froide, et je vous renvoie à l’article Wikipédia sur le sujet. Le souci ? La place des femmes, ou des minorités dans ce mouvement.

Beaucoup de survivalistes flirtent de près ou de loin avec l’extrême droite, et se nourrissent de théories complotistes. Le rôle de la femme ne serait là, alors que pour soutenir les hommes. Autant dire que ça sent le virilisme à des kilomètres. C’est ce point-là que le roman a dans le collimateur, et c’est pour cela que Tallent a choisi une adolescente comme héroïne.

Rapport de force

Turtle doit constamment faire des efforts pour prouver à son père qu’elle peut être aussi forte que lui, mais son père reste misogyne malgré tout. De mémoire, il méprise naturellement l’une des enseignantes de sa fille, et le traitement qu’il lui donne démontre son dégoût viscéral des femmes.

De plus, nous savons que la mère de Turtle est décédée dans leur maison, sans trop ne jamais savoir pourquoi. Bref, Turtle est éduquée (voire dressée) comme un homme, et les qualités qu’on lui prête sont avant tout masculines. Elle emprunte le style vestimentaire de son père, avec ses bottes et sa veste militaire, et elle méprise les filles de son âge. Sa professeure dira même d’elle qu’elle est une jeune fille misogyne.

Avant de lire ce roman, je ne connaissais que très peu ce mouvement, et ça a été une découverte pour moi. Assez inquiétante au demeurant, et Tallent ne cherche pas à romantiser le survivalisme. Au contraire, il en dénonce les dangers, comme le refus d’aller aux hôpitaux, les théories complotistes, la haine de l’autre, etc. 

Souvent, les discussions du père — Martin — me rappelaient les conversations de bar, où les gens refont le monde. Le souci, c’est que son monde a lui repose sur des préjugés. Raciste, homophobe, misogyne, nous avons le cocktail parfait du connard de service.

My Absolute Darling reste en façade de son propos

Le souci ?

Le manque de développement du personnage. Je ne dis pas que j’avais besoin d’une origine story très poussée, mais le principal problème de Martin s’arrête à être une enflure. Rien ne justifient ses actes, certes… mais ce n’est jamais vraiment expliqué. Il est cruel, c’est un violeur incestueux, et c’est tout. Il s’arrête à ce rôle pour le développement de Turtle, et ses violences sont gratuites. Le roman tombe facilement dans le trash pour être trash.

Encore une fois, je ne voulais pas de justification, et je pense que ça tient plus d’une maladresse de l’auteur dans son écriture. Cela engendre une espèce de voyeurisme à ses actes, et à aucun moment Turtle ne remet cela en question. Elle subit, elle le banalise, et c’est malheureusement normal dans son cas.

Quand Jacob apparait, c’était certes une bolée d’air frais, et je m’attendais à ce que maladroitement, il vienne sauver Turtle en prince charmant… Mais non. Il reste très extérieur au roman, alors qu’il est censé provoquer le « déclic ».

Jolie forme, gros soucis de fond

Martin manque cruellement de nuance, et ça rend les situations inconfortables juste pour l’être. En vérité, c’est un peu tout ça avec les personnages. Ils sont passifs, comme Turtle, et n’interviennent pas. Le roman aurait pu tirer son épingle du jeu en présentant cet aspect : les complices silencieux, ceux qui n’interviennent pas. Jacob essaye, mais sans plus. Ce n’est pas réellement abordé.

Au final, le réel déclic vient de deux éléments qui m’ont fait soupirer. Le premier est une absence aléatoire de Martin, de près de deux mois, et qui représente un énorme morceau dans le roman. Il n’y a pas de réelles explications, si ce n’est le décès de son père. L’ogre quitte donc le repère, et Turtle a accès à la liberté. Encore une fois, j’ai eu un goût de trop peu. Cette absence n’a pas de réel impact sur Turtle, et cela a été frustrant pour moi.

Un homme d'affaire haussant les épaules devant l'intrigue de My Absolute Darling
Moi en lissant ce retournant dans My Absolute Darling

Ensuite, le retour de Martin avec une enfant qu’il a ramassé dans une station-service. Pourquoi ?

Voilà.

Non vraiment, je n’ai pas le souvenir d’une justification à cela. Ce personnage ne sert à rien, n’existe que pour le développement de l’intrigue. Elle subit l’histoire, et se fait maltraiter pour que Turtle arrive à comprendre que son père est problématique. Elle se fait amputer pour combler les besoins de supériorités médicales de Martin – et comme je disais plus haut, c’est symptomatique des survivalistes -, et fait figure de martyre. C’est lorsque Turtle soupçonne soudain que son père va violer la gamine qu’elle commence à se poser des questions. Le déclic aurait pu venir plus tôt, avec plus de finesse, mais il tombe comme un cheveu dans la soupe. Soudain, Turtle s’éprend d’un sentiment maternel et tente de la sauver jusqu’au dénouement final.

Ce qui coince dans My Absolute Darling

Vraiment, je crois que c’est ce qui m’a failli faire détester le roman. Encore une fois, nous avons un woman in te fridge (je l’ai déjà mentionné dans mon article sur le Joker), et dont l’existence ne sert qu’à forcer l’héroïne à prendre conscience du monstre qu’est son père.

Turtle lutte enfin contre lui, car elle développe un sentiment maternel. Encore une fois, on renvoie la femme à son utérus, et à son rapport avec les enfants. Turtle n’avait pas besoin de cela pour évoluer. Alors que le reste du roman n’est qu’une tentative de lui faire prendre conscience que son père est un monstre. C’est une vision réductrice de la femme, et ce n’est pas féministe.

En vérité, ça me rappelle ce féminisme à la J.K Rowling, très blanc, très centré sur la mère, eeeeeh… (et je vous arrête : Rowling n’est pas féministe, c’est une blague vivante). C’est une vision masculine d’une héroïne forte, et c’est bien dommage d’avoir encore à subir ça. Enfin, pourquoi un personnage féminin doit-il se faire maltraiter tout du long pour devenir fort et emblématique ? Ce n’est pas un déclencheur qu’on accorde couramment aux hommes…

Plantage d'un auteur féministe ?

Voilà pourquoi à mon sens, My Absolute Darling n’est pas une réelle oeuvre féministe. J’ai déjà du mal avec le concept d’auteur masculin féministe, car avant tout, l’on devrait laisser la place aux personnes concernées par ces luttes pour s’exprimer.

L’on peut aussi se demander si Tallent aurait eu droit à un tel tapage médiatique à la sortie de son livre, s’il avait été une femme. Il est pour moi symptomatique des problèmes de la littérature aujourd’hui.

On laisse la place aux mêmes, et les auteur·ices concerné·es par des luttes telles que le féminisme sont rarement mis en avant. Rappelons que le prix « Femina » en 2019 a été donné à Sylvain Prudhommes pour « Par les Routes« . J’ai encore besoin de faire un dessin ? 

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