Temps de lecture estimé à : 12 minutesCharlie et la Chocolaterie, analyse : un protagoniste queer et cynique.

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Et si nous parlions de Charlie et la Chocolaterie en tant que film de Noël ? Quoique nous sommes le 26 Décembre, nous sommes toujours en période de fête. Ce sont toujours — plus ou moins — les mêmes films aux mêmes bons sentiments qui passent à la télévision. J’aurais pu parler de l’Étrange Noël de Monsieur Jack, puisqu’il s’agit d’un classique du genre, mais aussi de Tim Burton…

J’aurais pu, il est vrai. Au lieu de cela, j’ai préféré décortiquer la version de Charlie et la Chocolaterie datant de 2005. J’en gardais un bon souvenir, et c’est quelque peu étrange de le revoir, quinze ans après ; imaginez, vous fermez les yeux, et plus d’une décennie est passée. Si je n’ai pas lu le roman, ni vu le film de 1971, cela ne saurait tarder. Bref commençons !

Charlie et la Chocolaterie en résumé

Charlie Buckett est un petit garçon pauvre, dont le seul cadeau d’anniversaire est une tablette de chocolat estampillé Willy Wonka, un confiseur de renom et de génie. Celui-ci décide de cacher cinq tickets d’or dans ses tablettes. Les heureux possesseurs auront la chance de visiter sa chocolaterie. Évidemment, Charlie trouvera le ticket d’or. Il sera emmené dans une aventure un peu grinçante, en compagnie des autres enfants. Voilà, c’est tout.

Charlie et la Chocolaterie, un conte de Noël si classique ?

On comprend vite que parmi les cinq enfants, Charlie est le plus méritant ; contrairement aux autres, il est pauvre, maigre, et désintéressé. Si chaque enfant correspond à un malaise social : les mini-miss avec Violette, la surconsommation avec Augustus.

Charlie dresse le tableau de l’enfant encore pur et innocent qui n’abandonne pas ses rêves. Il représente un esprit très chrétien, avec les valeurs familiales l’entourant, très opposé aux défauts des quatre autres. Je dois avouer que quand j’ai regardé avec quinze ans de plus, ce Charlie et la Chocolatrie, j’ai quelquefois grincé des dents.

Charlie tenant le Ticket d'Or dans Charlie et la Chocolaterie

Alors je sais que Roal Dalh n’était pas un auteur tout jeune. Voir Teavee et ses accès de colère, la parfaite illustration des clichés des boomers sur les jeux vidéo. Ou encore Augustus qui est clairement victime de grossophobie.

Mais bon, c’est un conte de Noël, et l’oeuvre n’est pas foncièrement mauvaise. Et ce que l’oeuvre critique surtout c’est le capitalisme. Avec ses usines, qui déshumanisent peu à peu le travail des artisans.

Charlie et la Chocolaterie, une usine à critiques sociales

Le ton se veut grinçant sur pas mal d’aspects. Comme le fait que Willy Wonka, tout en habit de colon, explore la jungle et découvre un peuple de « sauvage » qu’il paye en fève de cacao pour leur labeur au sein de son usine. Ou encore le regard exotique que porte les Anglais pour les peuples orientaux — le passage avec le palais en chocolat le témoigne par exemple —, etc.

Sans oublier le petit mépris de classe dans le court échange entre le père de Verruca et de Teavee. Le premier fait mine de ne pas comprendre « l’américain », alors que les différences entre l’anglais britannique et l’anglais américain sont légères. Mais voilà, le père de Verruca est richissime, se sert de son usine de cacahuète pour trouver le ticket d’or…

Willy Wonka entouré de ses visiteurs dans Charlie et la Chocolaterie

Chaque enfant et son parent est une réponse à Charlie et son grand-père. Si Violette est compétitive et méchante, allant jusqu’à voler la pomme dans le pseudo jardin d’Eden recrée par Willy Wonka, Charlie ne voit pas l’intérêt d’écraser les autres pour être le premier.

Si Verruca est une enfant pourrie gâtée voulant collectionner les animaux, Charlie offre volontiers sa tablette de chocolat de son anniversaire à toute sa famille. Si Augustus est gros et mange sans réfléchir, Charlie n’est pas fort nourri. Enfin, si Teavee a des angers issues, et possède un esprit pragmatique, Charlie est un doux rêveur.

Le rapport avec les enfants dans Charlie et la Chocolaterie

De plus, les enfants incarnent chacun un péché capital, comme l’a très bien démontré Doremi Pop Culture dans sa vidéo. Enfin, les mésaventures des enfants ont un rapport directement lié avec leurs personnalités.

Augustus qui se fait aspirer par le tuyau, ou Verruca et son père qui finit recouvert de déchet à la fin. Ironique au vu de leur statut social. Quant à Violette, dont le corps devient extra-souple suite à sa mésaventure, j’ai toujours trouvé la réponse de sa mère assez froide. Comment vas-tu concourir comme ça ?

Ce duo dénonce — à mon sens — les Mini Miss qu’on voit aux USA. Ou les concours de talent organisés pour les enfants. Si Violtte voit sa souplesse comme une nouvelle façon de réussir et s’en réjouit, ce n’est pas le cas de sa mère.

Willy Wonka et Teavee : deux génies qui se confrontent

De même que j’avais oublié les rapports qu’entretiennent Willy Wonka et Teavee. Je pense que les deux se ressemblent davantage qu’ils ne le montrent. Après tout, Teavee est un enfant plus malin que les autres, mais cette intelligence a un coût. Il ne croit en rien. Si Willy Wonka est un créatif dans son domaine, son génie est aussi ce qui l’isole. De plus, leurs interactions sont une suite de dialogue de sourds.

Teavee dans Charlie et la Chocolaterie

Willy Wonka prétexte ne pas pouvoir entendre Teavee parce qu’il « marmonne ». Tout au long du film, l’on se rend compte — aussi — que Willy Wonka n’est pas plus à l’aise que lui avec les relations sociales. Ils ont une morale douteuse : Teavee n’hésite pas à pirater la chocolaterie pour trouver le ticket d’or, tandis que Willy Wonka plaisante sur le cannibalisme et rappelle que cela est « mal vu ».

Leurs esprits visionnaires se relient à leur cynisme, comme s’ils ne pouvaient pas exister sans « malfaisance ». À côté de cela, Charlie se caractérise essentiellement par sa bonté, sa douceur, et sa gentillesse. Mais aussi par sa capacité empathique. Après tout, il est celui qui provoque les flash back de Willy Wonka en posant les « bonnes questions ».

Charlie et la Chocolaterie : un protagoniste à la morale douteuse

Nous avons planté quelques éléments du décor de Charlie et la Chocolatrie. Maintenant, on va s’intéresser à la pierre angulaire du film, à savoir Willy Wonka. C’est un personnage dont l’alignement pourrait être loyal mauvais. Dans le sens où il a parfaitement conscience des règles, mais il y porte un regard critique, sans hésiter à les détourner si cela le justifie.

La construction morale du personnage est étroitement liée à son rapport à l’enfance, et dénonce qu’une éducation trop stricte peut amener une rupture entre un petit garçon et son père. Celui-ci est évidemment dentiste — ce qui fait un rappel au travail qu’effectue le père de Charlie, à savoir bouchonner des tubes de dentifrice à la main. Il a empêché le petit Willy de manger des chocolats et des bonbons, car cela pouvait lui donner des caries.

Il y a un passage qui m’a assez marqué plus jeune, c’est lorsque Willy Wonka et son énorme appareil sur la tête, observe son père faire l’état des lieux de la chasse aux bonbons ramassés pendant Halloween.

Willy Wonka n'aime pas les enfants ?

Son père émet l’idée que Willy pourrait être allergique au chocolat, et le petit garçon lui dit qu’ils n’en sont pas si sûrs. Pour ne pas prendre le risque, le père de Willy brûle les bonbons ; c’est littéralement « vaut mieux prévenir que guérir », et en faisant cela, il prive aussi son fils de ses propres expériences. Sans le savoir, cet évènement déclenche leur future rupture, puisque Willy trouvera un chocolat dans la cheminée.

On devine en peu de temps que le père de Willy est extrêmement dur, et son fils trop obéissant. Au final, cela explique le comportement de Willy Wonka avec les enfants.

Dans le sens où ils semblent le mettre mal à l’aise, et qu’il ne sait pas comment réagir face à l’affection — il n’y a qu’à voir sa réaction lorsque Verruca lui fait un câlin. Son rapport est si conflictuel qu’il veut faire en sorte que Charlie quitte sa famille pour devenir son héritier. De même qu’il ne réfléchit qu’à sa propre parentalité lorsqu’il constate son cheveu blanc.

Enfin, c’est même un acte purement intéressé, dans le sens où il se fiche d’avoir un enfant. Il veut simplement s’assurer que la chocolaterie et les oompas-loompas pourront continuer à vivre décemment — et à travailler pour lui.

La figure paternelle dans Charlie et la Chocolaterie

L’ironie tient au fait que Willy Wonka est faiseur de rêve pour beaucoup d’enfants, mais qu’il n’a aucune idée de comment faire avec eux. Il les croit d’ailleurs tous pourris, c’est ce qu’il dit à Charlie quand celui-ci gagne ; il voulait choisir le moins pire. Évidemment, Charlie étant ce qu’il est, il pousse Willy Wonka à renouer avec son père. D’ailleurs, Willy est une figure parentale ambiguë pour chaque enfant du groupe. Il est celui qui va poser les limites, mais aussi les laisser faire leurs propres expériences.

Comme le démontre la scène où Violette mange le chewing-gum permettant d’être un diner à lui seul — il n’intervient pas vraiment, sans doute par curiosité de voir jusqu’où l’expérience va le mener. Ou encore quand Augustus tombe dans la rivière de chocolat. Quant à Verruca, il est le premier adulte à lui refuser quelque chose — la vente des écureuils.

Et pour Teavee, il refuse de faire de son téléporteur quelque chose de « plus » — là encore, leurs génies respectifs s’affrontent. Enfin, pour Charlie, il est une mise à l’épreuve : réaliser son rêve en renonçant à ce qu’il a de plus précieux.

Charlie et la Chocolaterie : Willy Wonka, un personnage queer ?

Bon. Maintenant que nous avons établi rapidement la psychologie de Willy Wonka, voyons en quoi ce personnage est queer-coded. Si vous ne savez pas ce que c’est, je vous renvoie à l’article que j’ai écrit sur le sujet. Mais en résumé, Willy Wonka a une écriture — dans le film de Tim Burton du moins — supposant une certaine sexualité. Il est maniéré, créatif, mais aussi original. Il prend soin de son apparence, et s’il devait correspondre à un cliché du queer-coding, il serait l’artiste. Il a les idées de grandeurs liées à cela, du génie, mais aussi une capacité à penser en dehors des cases.

Pourtant, si son attitude corporelle porte à croire qu’il puisse être ce cliché de l’homosexuel artiste et génie, il ne l’est pas. Oh… certes, on le voit gêné lorsque la mère de Violette lui fait des avances. Mais tout indique — en vérité — que Willy Wonka — dans la version de Tim Burton — est ace, voir aromantique.

Willy Wonka ne semble pas s’intéresser aux gens, de manière générale.

Et s’il apprécie Charlies, c’est parce que celui-ci dessert un intérêt — reprendre la chocolaterie. Il est seul, et ne semble pas spécialement malheureux de cette solitude ; au contraire, c’est un ermite, quelque peu original, vivant dans son monde. Aucun intérêt pour le sexe, ou pour les relations humaines. Malgré l’imagerie BDSM empruntée par la vache qui se fait fouetter — ou peut-être n’y voit-il aucun mal puisqu’il ne voit pas « ça » ainsi. Ce décalage chez les autres explique évidemment son génie, et sert souvent à Tim Burton.

Et si Willy Wonka était aromantique et asexuel ?

Celui-ci aime les personnages décalés socialement, mais il est rare lorsqu’il ne développe pas de relations amoureuses. Dans tous les cas, être ace ou aromantique fait partie intégrante de la communauté LGBTQIA+. C’est juste si peu représenté que l’on considère encore trop souvent les personnes asexuelles comme « cassées ».

Si Willy Wonka n’est pas « méchant », mais plutôt gris dans son écriture, et qu’il se place dans une oeuvre pour enfant, son absence de sexualité ou d’intérêt romantique se justifie ainsi. Enfin, si on garde à l’esprit qu’il est une figure parentale pour Charlie, il est estampillé à ce rôle. Combien d’enfants peinent à voir leurs parents relationner avec d’autres adultes ?

Je m’aperçois que ne n’ai pas vraiment fait une analyse cinématographique en tant que telle de ce film. Je me suis plus intéressé au fond qu’à la forme. De même que je pourrais tergiverser sur l’expression de genre de Willy Wonka.

Cela en rajouterait une couche argumentaire dans son queer-coding, mais ce ne serait pas pertinent. Il est l’image du dandy, avec ses hauts-de-forme et ses costumes. D’ailleurs, il conserve sa veste en velours tout le long de la visite —, donnant au film un caractère intemporel.

Conclusion sur mon analyse de Charlie et la Chocolaterie de Tim Burton

On y retrouve les clichés du conte de Noël, le paysage enneigé, les valeurs chrétiennes et les bons sentiments qu’incarnent Charlie et sa famille. Le narrateur n’est pas sans ironie, et le film possède quelques blagues d’humour noir — comme l’hôpital des grands brûlés, faisant allusion aux automates dans la scène d’ouverture —, une touche pince-sans-rire sur la façon dont les Anglais percevaient l’orient, et surtout une critique du capitalisme.

Mais comme il s’agit d’un conte de Noël, tout finit pour le mieux ; le père de Charlie retrouve un travail, mieux payé, dans l’entreprise qui l’avait licencié suite à la venue des machines — qu’il se met logiquement à réparer. On met en garde les parents sur leurs mauvaises tendances à gâter les enfants, et Willy Wonka retrouve même la paix en s’intégrant à la famille de Charlie. La maison d’ailleurs rappelle très fort le style graphique de Tim Burton, tout en angle et branlant. Si vous aimez les théories, je vous invite à consulter cette vidéo de Doremie.

Je reviendrai probablement sur ce Charlie et la Chocolaterie en me basant sur le film de 1971, et le roman — quand j’aurais mis la main sur les deux. Dans tous les cas, j’espère que vous avez passé un bon réveillon, et que le repas de famille n’a pas été trop houleux dès le deuxième verre de vin.

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