Temps de lecture estimé à : 11 minutesWe Happy Few, analyse d’un DIY de votre propre dictature

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We Happy Few et son univers dystopique

We Happy Few est d’autant plus parlant dans le climat actuel de la France. Si nous n’en sommes pas au point de devoir prendre de la Joy pour échapper à la réalité des répressions policières, il y a toutefois un parallèle intéressant entre le jeu de Compulsion Game et notre gouvernement.

Pour vous situer un peu, We Happy Few est un FPS issu d’un kick-starter. Si au départ, il s’agissait avant tout d’un jeu de survie, il s’est vite transformé. Le gameplay est certes chootique, mais son univers ferait un excellent JDR.

Quand je vois les critiques sur le net, il y a deux camps distincts. Ceux qui n’ont pas accroché, et reprochent au jeu son gameplay hasardeux et ses multiples bug qui peuvent gâcher l’expérience. Et ceux lui vouant un véritable culte. J’en fais partie. J’ai su rentrer dans son univers déjanté, mis en valeur par un humour corrosif so british.

We Happy Few, ça parle de quoi ?

Pour ceux au fond qui ne savent pas de quoi, parle We Happy Few, je vais vous résumer un peu. We Happy Few est un jeu en monde ouvert… se déroulant en huis clos, dans une Angleterre des années 60 ayant perdu la guerre face aux Allemands.

Les habitants de Wellington Wells portent des masques souriants, et prennent régulièrement la Joy. L’histoire débute avec Arthur, un journaliste dont le travail consiste à censurer des articles avant leur publication ; tout va bien dans son monde, jusqu’à ce qu’il retombe sur un article parlant de son frère Percy… ayant été déporté en Allemagne lorsqu’ils étaient enfants.

Jusque là grâce à la Joy, Arthur avait plus ou moins oublié l’existence de son frère. C’est en voyant son portrait qu’il décide de l’arrêter. Crime très grave, car ses collègues s’en aperçoivent et lâchent sur lui les garde-fous de la ville : les Bobbys. Très vite, Arthur se fixera l’objectif de s’enfuir de Wellington Wells et de retrouver son frère.

La direction du jeu est originale, très encrée dans l’univers des années 60, et colorée. L’histoire s’ouvre sur trois actes narratifs.

Le premier étant centré sur Arthur, le deuxième sur son amie d’enfance Sally. Et enfin le dernier sur un ancien soldat, Ollie. J’ai trouvé les deux derniers actes plus intéressants que celui d’Arthur. En réalité, on comprend mieux où les auteurs du jeu veulent en venir lorsqu’on plonge dans l’histoire de Sally et d’Ollie.

Si le jeu se veut déjanté et drôle, il n’en reste pas moins qu’il sert un vrai propos. Très vite, on s’aperçoit que rien ne va à Wellington Wells, et que la population préfère s’abreuver de Joy plutôt que d’affronter la vraie crise.

Pour parler de We Happy Few, je vais devoir spoil.

Je pense que je reviendrais plusieurs fois sur ce jeu, parce que j’ai clairement adoré son univers. Quand je dis que We Happy Few peut être un DIY d’une dictature; eh bien, c’est parce qu’il donne de façon cynique quelques « conseils » à l’intention de tout dictateur en devenir.

Cela passe d’abord par les médias, via le travail de censeur qu’Arthur effectue. Mais aussi avec le caractère bienveillant que le gouvernement met en avant. Plusieurs fois, au cours du jeu, nous entendons les émissions télé de l’Oncle Jack. Ce sympathique personnage offre ses conseils aux habitants, et leur rappelle de prendre leur Joy.

L’Oncle Jack a même sa propre émission de cuisine ! En fait, il occupe toutes les émissions télé de la ville. Une façon de contrôler l’information, et de « veiller » à ce que les habitants suivent les directives que le gouvernement lance à travers lui. L’Oncle Jack reçoit des lettres de la part des téléspectateurs. Ils se confient sur leurs soucis : la  Joy finit par altérer la mémoire, mais l’Oncle Jack insiste qu’il faut la prendre malgré tout. Une Wellie – le nom donné aux habitants de la ville – lui confie qu’elle oublie le chemin de sa maison, quand elle prend de ma Joy. L’Oncle Jack lui donne un conseil pertinent pour compenser : glisser un plan de la ville dans sa poche ! Ce n’est qu’une partie du ton caustique que le jeu emploie.

 

Jacques a dit... Obéis !

Ensuite, si cela peut prêter à sourire sur le moment, les Wellies adorent le jeu de « Jacques a dit ». Jacques a dit possède même sa propre église, c’est pour dire ! Plusieurs fois, lorsque vous traversez les quartiers de la ville, vous devrez passer par une chambre spéciale pour rejoindre l’autre partie.

Dans cette chambre, vous devrez jouer à un Jacques a dit, à chaque fin de manche, vous serez récompensé par de la Joy avec la voix automatique qui vous rappellera que le bonheur est un choix. Si vous ne vous exécutez pas assez vite, vous recevrez des décharges électriques.

Si cela prête à sourire, et que ce Jacques a dit va avec le côté déjanté du jeu, il y a un sous-texte intéressant. Cela met en évidence la capacité à obéir sans réfléchir à ce que Jaques a dit… (ordonne). Vous sentez un peu le côté insidieux qui est mis en avant ici ? On apprend aux Wellies à obéir sans se poser de questions, et s’ils y parviennent, ils sont récompensés par de la Joy. C’est le principe du renforcement négatif.

We Happy Few présente l'émission TV de l'Oncle Jacques en noir et blanc

La joie sous Acide

La Joy est un élément central du gameplay, mais sous exploité. Pour passer certains portails… vaut mieux en avoir pris. Il y a dans la ville des détecteurs de Rabats-Joies : grosso modo, ils peuvent vérifier si vous êtes sous l’emprise de la Joy, et si cela n’est pas le cas, l’alarme se déclenche.

Les Bobbys et les Wellies se mettront alors à vous courir après, en prétextant vouloir votre bien. Les habitants font office de milices, et ils ont tout à fait le droit de pourchasser les satanés rabat-joies qui auraient l’outrecuidance de ne pas être assez heureux. Plus tard dans le jeu, on rencontre des médecins capables de sentir – comme des chiens – si vous êtes sous Joy ou non.

La Joy altère la mémoire, et cela permet au gouvernement de faire oublier à sa population ce qu’il s’est passé durant la guerre. En plus de la manipuler, on force les gens à oublier la situation de crise : le manque de nourriture, par exemple, ou la déportation des enfants. 

We Happy Few, le cauchemar

Parce que depuis cet épisode, il n’y a plus aucun enfant dans la ville. Wellington Wells est une île, rattachée à l’Angleterre par un chemin de fer qui n’est plus en service depuis des années. Lorsque vous prenez de la Joy, votre personnage voit des arcs-en-ciel, tout est plus lumineux, mais attention à la descente.

À partir de là, vous passez du rêve acidulé au cauchemar ; les Wellies peuvent très bien le remarquer. Vous devez alors soit vous cacher, le temps que la descente se termine, soit de reprendre une pilule de Joy. D’ailleurs, vous pourrez vous en procurer partout, notamment dans des cabines de téléphones, vous offrant trois parfums différents de Joy. Eh oui. Dans Wellington Wells, tout le monde DOIT être heureux ; c’est le devoir du citoyen. Si vous êtes déprimés… vous finissez dans les Jardins.

Tout n'est qu'apparence

Ce qui a donné beaucoup de caractère à We Happy Few sont les masques que les Willies doivent porter. Les médecins et les Bobby en portent aussi. Ces masques, au-delà de singer la joie qui doit habiter les Wellies est aussi une métaphore.

Au-delà du masque social que les habitants portent, faisant mine d’être heureux pour ne pas être considérés comme des rabat-joies, il s’agit de montrer que Wellington Well se voile littéralement la face.

Dans l’acte d’Ollie, nous apprenons que le Comité Exécutif est très au courant de la situation catastrophique dans laquelle l’île se trouve. Mais plutôt que de faire quelque chose pour tenter de sauver la situation, ils préfèrent se défoncer à la Joy.

Le but d’Ollie sera alors de révéler la situation aux gens. La scène finale montre les habitants en train se de débarrasser de leurs masques, tandis qu’Ollie s’enfuit en montgolfière. Une ouverture vers la liberté de penser.

Un policier anglais tenant la main d'une mamie dans le jeu We Happy Few
Ils sont presques mignons

Maudits Rabats-Joie, la tristesse est démodée dans We Happy Few

Et quant à ceux qui refusent de prendre de la Joy, et de lutter contre le gouvernement ? Eh bien, en plus d’être pointés du doigt en tant que « rabat-joie », ils sont jetés dans les « jardins ». Les Jardins sont des quartiers en pleine nature, où les rabat-joies se retrouvent pour essayer de survivre.

C’est d’ailleurs là que commence l’aventure avec Arthur, et on devra sortir des Jardins afin de retourner à Wellington Wells. On découvre alors que la population des Jardins ne porte plus leurs masques, et tente de survivre dans une profonde misère. On y retrouve une église vouée au véritable Oncle Jack. Celui-ci fait office de figure tellement importante qu’ils s’en remettent à son culte.

Si Arthur pense qu’il s’agit d’un imitateur qui veut profiter de la naïveté des gens, il est fort probable qu’il s’agit du vrai Oncle Jack. En effet, la fin avec Ollie montre une cassette de l’Oncle Jack, qui en larme tente de raconter la vérité ; à partir de là, il semble avoir « disparu ». C’est par ailleurs grâce à cette cassette qu’Ollie parvient à réveiller les Wellies sur la vérité.

Enfin, pour revenir aux Jardins, il est tout à fait possible pour les citoyens d’en sortir en passant une suite de tests. Ces tests sont des questions-réponses données par un robot, et directement, l’on peut voir comment le gouvernement voit sa population : servile et joyeuse. À partir de là, Arthur doit surpasser ce test, se retrouve sous Joy et retourne en ville.

La répression policière

Autre aspect que le jeu met en valeur, c’est l’idée qu’en tant que bon citoyen de Wellington Wells, vous devez obéir au couvre-feu. Eh oui. À partir de 21h ou de 22h, les habitants doivent être tranquillement chez eux à regarder les émissions de l’Oncle Jack, pendant que les Bobbys patrouillent dans les rues.

C’est un élément important du gameplay, car cela ne sera pas aisé de parcourir la ville pendant la nuit. Surtout avec une IA parfois finie au whisky. Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’on peut corrompre certains Bobby durant la partie, avec du scotch. L’un d’entre eux dira même que sa fonction lui est difficile, et que les gens ne s’en rendent pas compte. Il y a une véritable répression policière, mais les Bobby ne semblent pas tous la soutenir… mais obéissent malgré tout.

Et libre-arbitre ?

Enfin, les DLC apportent aussi des critiques sur l’univers du jeu. Le premier « They came from Below » se centrant sur une invasion de robots, et sur les personnages de James et de Roger que l’on croise souvent dans le jeu normal.

Encore une fois, s’il s’agit au début de massacrer les robots, on s’aperçoit vite au cours de l’histoire que ces derniers ont une conscience, et un libre arbitre. Au final, Roger, notre personnage décidera d’aider les robots.

Point intéressant : si au cours de l’aventure classique, il est sous-entendu que James et Roger sont en couple, le DLC le confirme. Et ce n’est pas parce que We Happy Few présente une Angleterre déjantée que l’homophobie n’existe pas. Eh oui, si ce n’est pas un élément central, le jeu en parle. Il y a une plaisanterie sur ça au début du DLC, quand une voisine dit qu’elle connait leur secret.

Un grand automate ayant un écran en guise de TV
Les Directrices sont dangereuses, malgré leur côté maternel

Le mot de la fin pour We Happy Few

Il est difficile de faire une analyse de ce jeu sans SPOILER, il est tellement riche que je ne pouvais pas… ne pas en parler sans rentrer dans les détails m’ayant plu. Surtout dans le climat actuel de la France. J’espère que cela vous aura plu, si c’est est le cas, n’hésitez pas à partager mon travail. Vous en serez remercié avec une petite pilule de Joy. Enfin, l’univers est tellement riche qu’il ne cesse d’inspirer certains youtubeurs.

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