Temps de lecture estimé à 25Joker : un protagoniste avec autisme ?

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Joker avec Joaquin Phoenix : un protagoniste avec autisme ? ​

Note : cet article se trouvait sur mon blog d’origine, et a été écrit au moment de la sortie du film, le Joker. Attention aux spoilers.

Le hasard est parfois grinçant. Avant le visionnage de Joker, nous avons eu droit à une bande-annonce d’un film français nommé « Hors-Normes » parlant d’autisme. Mais… En deux minutes, le film s’est montré problématique et particulièrement agaçant. Pourquoi ? Il se concentrait sur le mauvais point de vue. C’était celui des personnes non-concernées.

Pour ne pas changer, ce point de vue était celui d’un homme blanc et valide, supposément cis et hétéro. Je suis sensible sur le sujet, ça ne va pas. Mais bon. Pourquoi je parle de ça dans une analyse sur Joker ? Parce que le Joker de Phoenix semble être dans le spectre autistique, sans que cela soit mentionné. Concernant « Hors-Normes », je vous invite à voir cette vidéo d’Angie Breshka qui est concernée et en parle bien.

Avant d’argumenter en profondeur, je vais vous donner quelques définitions sur le sujet. Le Joker aborde deux sujets importants : la psycophobie et le validisme.

Psycophobie et validisme, qu'est-ce que c'est ?

La psychophobie, ou le sanisme (en anglais mentalism ou sanism), est une forme de discrimination et d’oppression à l’encontre de personnes qui ont ou sont censées avoir un trouble psychique ou une autre condition mentale stigmatisée. Les victimes en sont les personnes catégorisées comme souffrant de troubles psychiques (merci Wikipedia).

La psychophobie est institutionnelle, notamment à cause du mal que la psychiatrie a pu en faire. Le personnage du « fou » dans l’imagerie populaire est par essence psychophobe. Il est stigmatisé et fantasmé d’un point de personne qui n’ont pas de handicap psychique ou mental. Insulter quelqu’un de « schizo » est psychophobe, c’est quelque chose de profondément insidieux. Je ne vais pas détailler le sujet, d’autres le font bien mieux que moi. La parole des personnes concernées vaut mille fois la mienne.

Le validisme est une forme de discrimination. Ou de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap (paraplégie, tétraplégie, amputation, malformation, mais aussi dyspraxie, schizophrénie, autisme, etc). Le système de valeurs capacitiste, fortement influencé par le domaine de la médecine. Cela place la personne capable et sans handicap, comme la norme sociale. Les personnes non conformes à cette norme doivent s’y conformer. Elles seront considérées dans une situation inférieure, moralement et matériellement, aux personnes valides.

Plan large du film Joker, où celui-ci se tient assit dans sa loge

Comprendre ce qu'est le Trouble du Spectre de l'Autisme ​

Dans ce système de valeurs et de pouvoir, le handicap est ainsi perçu comme une erreur. La Convention relative aux droits des personnes handicapées définit l’absence d’accommodement raisonnable en faveur de personnes non valides comme une discrimination fondée sur le handicap. Merci Wikipédia encore une fois.

Les personnes en situation de handicap souffrent davantage du système validiste que de leurs handicaps. Un biais validiste courant est de présenter dans une oeuvre un enfant avec autisme comme souffrant de son autisme. C’est tellement insidieux que l’ont fait tous preuve de validisme sans s’en rendre compte. Combien de fois avez-vous traité quelqu’un en décalage d’autiste ?

Le Trouble du Spectre Autistique (TSA pour faire cours) se traduit – toujours merci wikipédia – par :

  • troubles qualitatifs de la communication verbale et non verbale ;
  • altérations qualitatives des interactions sociales ;
  • comportements présentant des activités et des centres d’intérêt restreints, stéréotypés et répétitifs.

La représentation de l'autisme

Le TSA est depuis quelques années fortement romantisés dans les médias, via par exemple les personnages Asperger, comme Sheldon dans The Big Bag Theory. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous conseille de faire un tour sur la chaîne YouTube de H — Paradoxae, qui présente le point de vue d’un concerné, et fait de très bonnes vidéos de sensibilisation sur le sujet.

Vous avez aussi la « Différence Invisible » de Julie Dachez qui en parle très bien. C’est une bande dessinée écrite par une jeune femme concernée. Et de manière générale, quand vous vous intéressez à un sujet pareil, je vous conseille de privilégier les points de vue des personnes concernées. C’est authentique, sans biais validistes.

Et enfin : Neurotypique (abrégé NT) est un mot créé par les personnes autistes pour qualifier les gens qui ne le sont pas.

L’utilisation de ce terme est adopté des personnes de la neurodiversité et aussi par la communauté (merci encore Wikipédia).

Ce que dénonce Le Joker

Et c’est tout le problème que soulève le film : Arthur est qualifié de « freak » par ses collègues clown. Les gens le regardent bizarrement, car il est en décalage. On le qualifie de fou, car on ne parvient pas à le faire renter dans une case. Sa différence est stigmatisée, et on lui fait ingurgiter des médicaments plutôt que de l’aider. De lui, on attend à ce qu’il se comporte comme s’il n’avait rien.

Les plans iconiques où l’on voit Arthur peiner à remonter les escaliers, comme s’il cherchait une ascension sociale et la reconnaissance vont dans ce sens. Au moment où il se fait renvoyer de son travail, on le voit descendre des escaliers, et effacer le slogan de son entreprise. Il transforme le message initial qui était « et surtout n’arrêtez pas de sourire » en « arrêtez de sourire ». Il s’en va alors prendre la porte, éclairée d’une lumière blanche.

Un entourage mal intentionné ?

Plusieurs fois, les quelques personnages qui interagissent avec Arthur n’ont pas d’intentions claires ; comme Arthrur, le spectateur ne peut que supposer celles-ci.

Arthur n’a pas le droit de porter une arme, mais son collègue lui en donne en étant bien au courant. C’est ce qui justifie son licenciement : l’arme tombe de son déguisement pendant qu’il amuse les enfants de l’hôpital. Personnellement, j’ai toujours trouvé cette scène où il chante « if you happy clap your hands » très sarcastique.

Si ce collègue la lui donne en disant que ça l’aidera à se défendre, il prétendra au patron qu’Arthur a voulu la lui acheter. Le spectateur sait que c’est faux, mais on peut s’interroger : pourquoi lui donner une arme ? Voulait-il vraiment lui donner de quoi se défendre ? Ou bien cherchait-il à le compromettre ?

Même chose avec les policiers. Quand ces derniers se présentent à lui, on ne sait pas encore s’ils le soupçonnent d’être le clown tueurs. Ils se lancent à sa recherche, car son ancien employeur leur a dévoilé qu’il possédait une arme. D’autant plus qu’ils déclenchent un AVC à sa mère, en l’ayant interrogé pendant l’absence d’Arthur. Sa mère… qui justement n’a pas un comportement clair avec lui. Elle semble sénile et souffrir de « délire » — comme il est dit dans le film. Elle ne lui a jamais parlé de sa naissance, jusqu’à ce qu’Arthur ouvre une lettre qu’elle lui demande d’envoyer à Wayne. Il apprend alors qu’il est peut-être son fils.

La difficulté à décrypter les émotions

Et ce ne sont pas les seuls moments, où les intentions des autres sont confuses. Murray, par exemple, qui dit vouloir lancer sa carrière, après l’avoir humiliée dans son émission. C’est Murray d’ailleurs qui le surnomme Joker. Pourquoi l’invite-t-il sur son plateau, alors ? Pour l’humilier, ou lui donner un coup de pouce ? Rien n’est sûr pour le spectateur. Pourtant, Arthur associe Murray à une figure paternelle, lorsqu’on le voit fantasmer d’interagir avec lui. Arthur cherche constamment une reconnaissance sociale.

Cela démontre qu’Arthur peine à décrypter les émotions des gens, d’autant plus difficile dans une société qui porte constamment un masque. Comment peut-il démêler le vrai du faux ? Il est plus à l’aise avec les enfants, car leurs intentions sont plus claires. Les personnes avec autisme ont justement du mal à lire les émotions des autres. On leur reproche souvent d’un soi-disant manque d’empathie.

Le décalage d’Arhtur va dans ce sens : lorsqu’il regarde un humoriste se produire sur scène, il ne rit pas aux bons moments. Il rit dans les moments creux, alors qu’il n’y a rien de drôle… car il ne sait pas quand rire. De même qu’il ne semble pas comprendre en quoi les blagues sont amusantes pour le public – notamment parce qu’elles se moquent de minorités.

Imiter sans comprendre

Toutefois, Arthur sait observer. Plusieurs fois, on va le voir prendre des notes sur les autres ; dans son carnet, par exemple durant la scène avec l’humoriste, on le verra noter « capter le regard ». Il cherche à imiter ce qui marche, avec les gens ayant une reconnaissance sociale (ici, le rire). Alors qu’il apprend qu’il se produira sur le plateau télé de Murray, on le verra repasser l’entrée d’un autre humoriste en boucle pendant l’émission jusqu’à reproduire lui-même cette entrée. Sa volonté d’imiter est là à la fois un marqueur social, mais aussi pour cacher ce qu’il est. Parce qu’Arthur a conscience de sa différence, tout le monde le lui rappelle, ça fait partie de son drame. Son drame n’est pas la différence, mais ce que la société en fait.

Le fameux "rire" du Joker

Le rire d’Arthur est décrit comme étant le résultat d’un handicap neurologique. C’est ce que la carte qu’il montre aux gens indique. Plus tard, on apprendra qu’il a subit des violences de la part d’un des conjoints de sa mère. Celle-ci dira même que c’est un enfant qui ne pleurait pas. Ce qui explique, entre autres, la maltraitance. Bien sûr, cela ne la justifie pas !

Son mode de communication diffère des autres, peut-être que sa mère n’a jamais pu le comprendre et ne pouvait pas répondre à ses besoins.

Le rire pour le personnage du Joker est emblématique, mais sa nature n’est pas la même ici. Son rire est triste, il se coince dans sa gorge, et le stigmatise plus qu’autre chose. Il se déclenche dans ses moments de malaises et d’inconforts. Sur scène lors de son stand-up : Murray s’en moquera en disant que ce Joker cherche à faire rire en jouant de son rire. Lorsque les policiers viendront l’interroger aux urgences, son rire va surgir. Là aussi il se prendra une remarque validiste : c’est un truc de clown, ou c’est juste lui ?

Ce n'est rien de joyeux (évidemment)

Pareil, dans le métro, avant d’abattre les trois types, son rire sera ce qui va ramener leur intention. Quand la jeune femme commence à se faire harceler par ce trio et cherche du soutien auprès de lui, on peut noter qu’il ne sait pas très bien quoi en faire. Soit il ne comprend pas, soit il a conscience que quelque chose va arriver, mais ne sait pas comment y réagir. C’est là que son rire se manifeste. Il laisse le temps à la jeune femme de s’enfuir, car il attire l’attention sur lui. Sans ça, sans lui, elle aurait pu finir violée par les trois autres.

Ces derniers ne comprennent pas la nature de son rire, en dépit de ses tentatives pour s’expliquer. Il ne rit pas parce que c’est drôle, c’est une manifestation de son stress. Son rire est une façon de stimmer, comme la danse qu’il utilise pour se rassurer, et aussi pour prendre toute la place dans l’espace qu’il occupe. Après ça, Arthur ira danser dans les toilettes publiques où il s’est réfugié. Il y exprime son stress, alors que son corps se délie jusqu’à s’apaiser progressivement.

Un monde sensoriel...

On retrouve la danse comme moyen d’expression au moment où Arthur descend les escaliers. Ces mêmes escaliers qu’il peinait à remonter. Cela sert directement l’image spectaculaire du Joker, et lui permet de prendre conscience de l’espace. Il se l’approprie, même chose quand il rentre sur le plateau TV de Murray. Il s’inspire probablement de la séance de Charlie Chaplin qu’il voit plus tôt dans le film. Celui-ci danse en déclenchant les rires des spectateurs — on retrouve l’imitation pour parvenir à la reconnaissance sociale.

Donc… avec ces éléments, Arthur présente des symptômes du trouble du spectre autistique. Mais cela ne s’arrête pas là, il manque un point dans la définition de wikipédia : l’hyperesthésie, ou l’hypersensibilité sensorielle. Je vous renvoie vers cette vidéo pour vous donner un aperçu de ce que c’est.

L’environnement dans lequel Arthur évolue est agressif : les sons sont beaucoup trop forts, le bruit est omniprésent dans la ville. Ce qui contraste avec le calme de son appartement. Il semble aimer certaines matières, comme le velours, ou poser son visage contre les grilles, en cherchant une satisfaction sensorielle.

On retrouve cet aspect dans la scène du meurtre du métro.Lorsqu’il est contre les trois types, avec les lumières qui clignotent, le bruit du métro beaucoup trop fort. En plus de créer de l’inconfort et de la tension chez le spectateur, peut témoigner de son hypersensibilité aux sons et à la lumière. Des éléments discrets, qui appuient davantage la théorie du Joker autiste.

Et anxiogène

Voilà pourquoi certains moments sont fortement anxiogènes dans le film. Parce que le spectateur ne connait que le point de vue d’Arthur. Le film parle d’autisme, si on y sensible, c’est clair. Toutefois, même sans ça, on peut quand même profiter de Joker. L’histoire, la mise en scène, etc. permettent aux spectateurs de sentir le malaise d’Arthur, sans savoir pourquoi.

De plus, il y a une thématique qui revient souvent : le masque. Au-delà du personnage grimé en clown, il y a le masque social. Si les intentions des personnages gravitant autour d’Arthur ne sont pas claires, c’est parce qu’ils ont ce fameux masque.

Et lui-même aussi. Sa mère le surnomme « Happy », il rit et s’entraîne/se force à sourire pour correspondre au surnom que sa mère lui a donné. Pourtant, tout son personnage témoigne d’une véritable tristesse. Il perd plus son énergie à chercher à correspondre à quelque chose qu’il n’est pas, plutôt que d’être lui-même. Le clown qu’il incarne est une partie de lui-même. Bien au contraire de ce que racontent les médias à son sujet. J’ai toujours trouvé son traitement médiatique assez énervant ; c’est dû à l’empathie que j’ai pour le personnage.

En réalité, ils ne comprennent pas et théorisent. Arthur ne les a pas tué pour revendiquer quelque chose. Au contraire, Arthur n’a fait que se défendre, mais je reviendrais plus tard sur la récupération politique de son acte.

La psycophobie dans le Joker

À ce moment-là, Arthur ne cachait pas son identité, il rentrait chez lui en tenue de travail. Il porte littéralement un masque qu’il finit par jeter. C’est un point de rupture, et il décide de ne plus essayer de suivre cette mascarade sociale. Arthur s’accepte. C’est quelque chose qui m’amuse dans ces scènes, le masque sous le masque !

Parce que le Joker n’est pas seulement un film sur une personne avec un handicap mental, il est suffisamment bon pour dénoncer un système qui marginalise. Au-delà de la discrimination ordinaire qu’Arthur subit, que ce soit au travail, ou auprès des gens en général, sa chute est le reflet du malaise qu’il subit de la part de la société. Un truc qui me fait rire dans les critiques que j’en ai lues, c’est la soi-disant folie du personnage.

Non, Arthur n’est pas fou, à aucun moment il ne se revendique ainsi. Toutefois, c’est comme ça que la société le perçoit, car il ne correspond pas aux normes sociales, il se met à rire quand il ne faut pas, il agit bizarrement, et il peine à comprendre les intentions des gens. Au travail, on le qualifie de « freak ». Plus tard dans le film, on apprendra qu’il a été un enfant abusé. On ne sait pas à quel point, cependant sa mère semble souffrir de délire, ce n’est jamais très clair, après tout, la psychiatrie et les femmes, c’est une histoire de haine.

Le Joker lutte continuellement sur les préjugés

La mère l’infantilise beaucoup, elle ne l’appelle jamais par son prénom, elle refuse de lui parler quand il semble en colère. Avant qu’il ne la tue, Arthur lui renvoie au visage son handicap qu’elle a toujours cherché à cacher. Elle l’a forcé dans son éducation à rire, puisqu’il dira au public que sa mère lui a dit que son rôle dans le monde était d’apporter la joie.

Il dira même « enfant, quand je disais que je voulais être humoriste, tout le monde riait. Maintenant que je le suis, personne ne rit », une ironie déprimante. Il détestait l’école, sans doute parce qu’il subissait du harcèlement, et ne rentrait pas dans les cases. Murray rit aux dépens de Joker, et fait même des blagues stigmatisantes sur l’un de ses enfants qui n’est « pas très malin ».

La réflexion des policiers aux urgences, qui lui demandent si son rire est un truc de clown est une autre preuve de la psychophobie qui l’entoure. Cette même psychophobie qui est institutionnelle, lorsqu’Arthur balance froidement à sa psychologue — ou infirmière ? — qu’elle ne l’écoute jamais, et qu’elle ne s’intéresse pas à ce qu’il éprouve. Sur le plateau télé de Murray, lorsqu’il avoue les meurtres, il dit que s’il n’avait pas tué ces trois types, jamais il n’aurait existé. Si c’était lui qui était mort, il aurait été un cadavre qu’on aurait enjambé sans faire plus attention.

Pendant sa visite à Arkam, et qu’il interroge l’archiviste sur la nature des occupants, en demandant si la plupart sont dangereux, ce dernier lui apprend que le centre psychiatrique est un énorme fourre-tout. On ne cherche pas à soigner les patients, mais à protéger la société de leurs différences.

Des institutions dépassées

Ce passage démontre à quel point les personnes précaires, en situation de handicap, etc. sont stigmatisées par les institutions. On voit qu’on présente le handicap mental et la folie comme des choses honteuses qu’il faudrait cacher. L’archiviste n’est pas totalement psychophobe, il avoue lui-même les mécanismes psychophobes de la psychiatrie, toutefois, lorsqu’il comprend qu’Arthur est le fils de Penny, il hésite à lui donner le dossier : par crainte d’Arthur ? Ou parce qu’il est conscient de l’horreur dont Arthur a été victime ?

Le film démontre, tout du long, la psychophobie qu’Arthur subit au quotidien. La scène dans le bus, où il fait rire l’enfant, avant de se faire reprendre par sa mère est un exemple parmi tant d’autres. Murray qui se moque de son handicap à la télévision, les policiers qui le tutoient et l’infantilisent.

Le fait qu’il n’est pas totalement vu comme un danger. Il semble en mauvaise santé, et sa maigreur n’y aide pas. Que sa mère lui ait dit que faute de mieux, son rôle est de faire rire. Enfin, ce qui relate son enfance, avec le conjoint de sa mère qui l’a maltraité : beaucoup de personnes en situation de handicap subissent de la maltraitance. Et c’est ce que le film dénonce ; le rire nerveux d’Arthur semble venir d’un traumatisme crânien, mais avant ça, c’était un enfant qui ne pleurait pas. Il a été nié par sa mère ; parce qu’il est né avec un handicap ?

Les origines du Joker

Et concernant sa mère, dans les théories sur les origines du Joker, on peut voir deux écoles. Celle-ci prétend qu’Arthur est le fils de Thomas Wayne. Plus tard des papiers prouvant qu’Arthur a été adopté. Lors de sa rencontre avec Alfred, puis Wayne, ces derniers diront que sa mère est folle et qu’elle l’a adopté. Comme si la folie leur servait à noyer le poisson, alors qu’il s’agit d’un biais psychophobe… Parce que sérieusement, pourquoi aurait-on laissé une femme dite « folle » adopter un enfant, SURTOUT en étant seule ?

Ma théorie est qu’Arthur est bel et bien le fils de Wayne, et  que sa mère ait été internée à Arkam après qu’on ait découvert ce qu’il se passait avec son conjoint. Puis, on lui a fait signer des papiers — elle le dira à Arthur —, ce qui prouve tout cela ? La photo qu’Arthur trouve de Penny, signée par Wayne avec un message affectueux. En plus d’un refus de reconnaissance social, Arthur subit un refus d’être reconnu comme étant le fils de quelqu’un. Socialement, il est grave d’être un enfant sans père, d’avantage qu’un enfant sans mère.

Imaginez le scandale que cela pourrait être, si on apprenait qu’un candidat au poste de maire ait un fils illégitime ? En sachant qu’il est en situation de précarité et de handicap ? Mais de nouveau… difficile de démêler le vrai du faux, quand les intentions des personnages ne sont pas claires.

Et la plongée dans la détresse sociale

Le film ne se vante pas de donner la vérité sur les origines du Joker, il explique comment il en est venu là. Il dénonce un malaise plus profond. Il montre de plus l’hypocrisie des médias, vis-à-vis des gens précaires :

  • Le terme « anti-riche », qui m’a rappelé le fameux « racisme anti-blanc » que sort le FN, en cherchant à victimiser des bourreaux.
  • Le meurtrier au masque de clown qualifié de lâche, car il se cache derrière un masque — d’autant plus que c’était du maquillage et non un masque.
  • Lorsqu’Arthur s’enfuit dans le métro, parmi les manifestants, et que l’un des policiers abat un des passagers portant un masque. Cela déclenchera une émeute, mais les médias vont diaboliser la rage populaire. Ils présentent les policiers comme des victimes s’étant fait tabasser par des pauvres en colère, sans mentionner l’homme qu’ils ont tué.
  • Les trois premières victimes d’Arthur, trois hommes blancs en costumes, qui agressent verbalement la jeune femme, avant de s’en prendre à Arthur. Tout dans la scène est anxiogène, jusqu’à ce qu’Arthur les tue pour se défendre. S’il n’avait pas attiré l’attention sur lui, on ne sait pas ce qui serait arrivé à la jeune femme. De même qu’on ne sait pas ce qui aurait pu arriver à Arthur s’il ne les avait pas tués. Cependant, ces trois sales types sont érigés en victimes, et Wayne les qualifiera d’employés modèles. Sans le savoir, c’est comme ça que l’acte d’Arthur sera récupéré comme revendication « anti-riche ».
Le Joker se faisant malmener dans le métro

Se libérer des normes

Le début du film se passe dans un contexte social houleux, avec la grève des éboueurs (faisan écho à celle de Memphis en 1968), une population pauvre qui survit plus qu’elle ne vit. Lorsqu’Arthur tue les trois employés de Wayne, il tue sans le savoir un symbole, et devient la figure de proue d’un mouvement révolutionnaire. Sans le savoir, son acte aura de grosses répercussions, les gens en colère, les mal-aimés, les marginalisés, etc. vont se soulever face à la société qui les opprime.

Son acte est récupéré politiquement. Et c’est là qu’il commence à être quelqu’un. Que Wayne soit son père ou non ne change pas au fait qu’Arthur est « personne », c’est ce que le masque/le maquillage de clown lui permet d’être : personne, mais c’est aussi grâce à ça qu’il devient quelqu’un. Il n’est plus un « freak », mais devient au fur et à mesure du film une entité de révolte. Ses meurtres, sa chute vont faire de lui, le Joker. Les escaliers qu’il gravit, tant bien que mal, qu’il redescendra ensuite en tenue de Joker le témoigne.

Tout du long, Arthur se fatigue à être ce qu’il n’est pas, jusqu’à s’affranchir des codes sociaux et accepter ce qu’il est, quand bien même cela ne correspond pas à la société. Celle-ci qui le conduit à une colère, longtemps contenue, et qui finit par éclater sur le plateau télé de Murray.

Une fin ouverte

De façon sarcastique, avec son entrée fracassante, et la « complicité » illusionnée de Murray à son égard, il aurait pu lancé sa carrière. Toutefois, Arthur reste quelqu’un d’inadapté socialement parlant, et lorsqu’il se rend compte que tout ceci est une farce, il finit par revendiquer les meurtres. En plus de se faire insulter de pleurnichard par Murray, Arthur se rend compte que rien ne changera, et qu’il y aura toujours un fossé entre lui, et les autres. En tuant Murray, qu’il identifiait comme père, il s’affranchit.

Ce n’est pas étonnant que les manifestants viennent le sauver de la police, et l’érigent littéralement parmi la foule. Pour la première fois, Arthur existe pleinement, et surtout, il existe pour ce qu’il est. Enfin, la scène finale avec la psychiatre, qui n’est pas sans rappeler celle qu’on voit au début du film, lui demande pourquoi il rit ; Arthur répond qu’il repense à l’une de ses blagues. Parce que de nouveau, il se retrouve face à une personne reconnue socialement — médecin — qui le juge, sans le comprendre. Cette fin sert au spectateur qui est libre d’interprétation, parvient-il à s’enfuir ? Comment ce Joker-ci peut-il s’inscrire dans l’univers de Batman.

Nous sommes dans film sur un comics

Pour ma part en le voyant être poursuivi par les internes, ça m’a rappelé ces scènes comiques de courses-poursuites des vieux dessins animés. Vous vous souvenez ? La caméra reste sur un plan fixe d’un couloir avec plusieurs portes, et l’on voit les personnages se courir après. Le film est loin d’être dénué d’humour. Au contraire, il l’utilise de façon détournée. La scène où Arthur vide son réfrigérateur pour se cacher dedans m’a rappelé le terme « women in the fridge ».

L’expression « femmes dans le frigo » a été inventée par Gail Simone comme nom pour le site Internet au début 1999. Elle fait référence à un incident dans le numéro 54 de Green Lantern (1994), écrit par Ron Marz. Kyle Rayner, le héros du titre, rentre chez lui et découvre que sa petite amie, Alexandra DeWitt, a été tuée par le méchant Major Force. Celui-ci l’a placée dans le réfrigérateur.

Simone et ses collègues ont alors développé une liste de personnages féminins fictionnels qui ont été « tuées, battues, ou dépossédées de leurs pouvoirs ». Elles ont en particulier recherché les cas où le personnage féminin était tout bonnement traité comme un mécanisme pour faire avancer le développement narratif d’un personnage masculin. Sans qu’elle soit considérée comme un personnage propre ou possédant son propre développement (merci encore Wikipedia). Si cela l’aide probablement à se rassurer, j’y ai surtout vu cette allusion-là. Notamment quand on sait que Batgirl devient une « femme dans le réfrigérateur » à cause du Joker dans « The Killing Joke ».

Le mal n'est pas ce que l'on croit

Enfin, Arthur est loin d’être idiot, contrairement à ce que la société veut montrer. Il est capable de beaucoup de traits d’humour noir, et met en évidence l’absurdité de la société. Quand il fait une blague sur un chauffard ayant renversé un enfant à Murray, avant de se faire descendre par celui-ci, il met en évidence l’hypocrisie de cette émission de télévision. Murray passe son temps à faire des plaisanteries sur des minorités opprimées, tout en se vantant de faire de l’humour qui n’est pas vulgaire. Ce que Joker trouve drôle à ce moment, c’est probablement l’absurdité qu’il soulève. Mention spéciale à sa blague « est-ce que ma mort aura plus de cents que ma vie ? », qui témoigne du mal-être qui le ronge.

Je pourrais parler du « bien et du mal », notions qui « semblent faire défaut » à Arthur, mais ce n’est pas le propos du film. Je pense qu’Arthur reconnait ces notions, mais elles sont détournées. A contrario, on lui a appris que sourire était « bien ». Pourquoi ? Ces notions sont liées à ce que la société semble rechercher. Le « bien » de la société est présenté par Wayne. Je pense qu’en vérité, c’est « bien » parce que c’est une réussite sociale. Aussi dans le beau/luxe qu’il représente, en contraste avec Arthur et sa situation précaire.

Le « mal » est les marginaux, mis au banc de la société, du moins c’est la vision qu’on tente de faire rentrer dans le crâne d’Arthur. Au final, le film ne donne pas de définition du bien et du mal, parce que ça en est absent.

Ma conclusion sur le film Joker

Ce que Joker veut montrer, au-delà de la genèse du méchant de comics le plus iconique du monde, c’est comment la détresse sociale pousse les gens dans leurs retranchements, l’hypocrisie qui se cache derrière la réussite parmi les pairs. On sait, tout au long du film qu’Arthur ne s’en sortira pas, on sait qu’il restera malheureux. Mais c’est quand il cesse de lutter contre lui qu’il s’émancipe, faisant de la tragédie qu’était sa vie… une comédie.

Pffiu…

J’aurais encore des choses à dire, comme le fait que le point de vue d’Arthur n’est pas fiable à 100 % (comme le fait qu’il fantasme sa relation avec Sophie), mais je pense que l’analyse est suffisamment longue comme ça. Je tiens à préciser que c’est mon point de vue, et que vous n’êtes pas obligé de le partager. Je pense que Joker marquera les générations, car au-delà de la mise en scène et de la richesse du personnage, le film tient des propos importants. Un vrai chef d’oeuvre.

N’hésitez pas à me partager vos points de vue !

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